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Contes du hasard et autres fantaisies (Gûzen to sôzô)

Publié le par Rosalie210

Ryûsuke Hamaguchi (2021)

Contes du hasard et autres fantaisies (Gûzen to sôzô)

Les films à sketches sont souvent confrontés au même problème: celui de l'inégale réussite de leurs segments qui par ailleurs sont traités à égalité dans leur durée ce qui ne permet pas de les approfondir. "Contes du hasard et autres fantaisies" ne fait pas exception à la règle. On y reconnaît la patte du réalisateur de "Drive My Car" (2021)* qui n'aime rien tant que se griser de mots en huis-clos. Même s'il y a quelques moments annexes, le centre de gravité des trois films est un dialogue entre deux personnages côte à côte ou face à face dans un lieu unique. L'habitacle d'une voiture en éclairage nocturne qui a un équivalent similaire dans "Drive My Car" (2021), un bureau de professeur de faculté dans lequel celui-ci vit comme retranché tout en laissant toujours la porte ouverte et enfin le salon d'une belle maison dont la baie vitrée donne sur la végétation ce qui donne l'impression d'être dans une demeure japonaise traditionnelle tout en rappelant qu'il s'agit d'un leurre ce qui renvoie au monde du théâtre qui était déjà omniprésent dans "Drive My Car" (2021). Le cinéma de Ryusuke HAMAGUCHI est d'ailleurs qualifié de "théâtre de la parole" ce qui lui correspond parfaitement. Celle-ci se substitue aux actes dans le premier et le deuxième volet alors que dans le troisième, elle se prête aux illusions des deux protagonistes pour dissiper leurs regrets d'être peut-être passées à côté de leur vie. C'est ce segment-là qui m'a d'ailleurs le plus convaincue. La rencontre fortuite de deux anciennes élèves du même lycée fondée sur la méprise et le non-dit aboutit à une reconnaissance mutuelle et un rapprochement émouvant. Le premier volet instaure en revanche une triangulation (là encore fondée sur le hasard) assez artificielle. Si la scène dans la voiture est très belle (comme pouvait l'être celle de "Drive my car"), la triangulation qui en résulte semble relever de la théorie sur le désir mimétique de René Girard et sonne assez creux. Enfin le deuxième conte, particulièrement alambiqué est franchement poseur. On ne sait plus qui y manipule qui, les comportements du professeur et de l'étudiante sont assez obscurs. Cette dernière qui aurait pu devenir un personnage enthousiasmant notamment parce qu'elle pose plus de questions que les autres devient le simple véhicule des fantasmes masculins cristallisés par la lecture à haute voix des pages érotiques du livre du professeur. La fin qui se veut cruelle est consternante, la vengeance fortuite n'étant que la réalisation du souhait de l'amant et la nouvelle triangulation envisagée par l'ex-étudiante, conventionnelle à pleurer. Non, désolé, les mots ("conte", "hasard") ne suffisent pas à faire de Ryusuke HAMAGUCHI le nouveau Éric ROHMER. Ce dernier sondait l'âme humaine dans ses cheminements intimes avec beaucoup d'acuité. Hamaguchi en reste la plupart du temps au niveau de l'intellect et éventuellement de l'épiderme.

* "Contes du hasard et autres fantaisies" a été terminé avant "Drive my car" mais est sorti après, sans doute facilité par son succès.

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