Raging Bull
Martin Scorsese (1980)
J'ai vu plusieurs fois "Raging Bull" qui entretient des rapports assez étroits avec mon film préféré de Martin SCORSESE, "Taxi Driver" (1976): un personnage (interprété par un Robert De NIRO hallucinant de jusqu'au-boutisme) disons-le poliment pas très équilibré dans sa tête, ni dans son corps (la goinfrerie en lieu et place de l'insomnie) qui a tendance à parler à son reflet plus qu'à un autrui avec lequel il ne sait pas communiquer en vient à exorciser son mal-être dans une orgie de violence cathartique. Comme Travis Bickle, Jake La Motta est un grand malade dont la jalousie et la paranoïa détruisent tout sur leur passage y compris lui-même. Le film -et c'est une des raisons pour laquelle il est si admirable quand bien même son personnage principal a un comportement détestable- établit un continuum d'une fluidité et d'une limpidité parfaite entre sa vie et "le noble art", le ring de boxe étant un substitut du théâtre dans lequel les instincts primaires du taureau enragé peuvent se déchaîner sans retenue contre des hommes vus comme autant de rivaux à neutraliser ou au contraire pour "expier" par la souffrance tout le mal fait à soi-même et aux autres. Ce continuum est en effet également celui de la chair et de l'âme. La bestialité et la stupidité de Jake La Motta qui fait vivre un enfer à sa femme Vickie (Cathy MORIARTY) et à son frère Joey (Joe PESCI) pour un mot ou pour un geste interprété de travers, qui ne sait pas gérer ses émotions autrement que par la violence et dont le discernement est tellement altéré qu'il finit en prison (comme il aurait pu finir à la manière de Leonardo DiCAPRIO dans "Shutter Island" (2009) dans un asile) est pourtant aussi une âme en peine qui cherche une issue à sa propre tragédie. La dimension religieuse voire mystique de Raging Bull éclate dès le générique avec son noir et blanc somptueux et son ralenti en phase avec la musique inoubliable extraite de "The Cavalleria Rusticana" de Pietro Mascagni. Les italiens ont le sang chaud mais savent manier la corde lyrique mieux que personne et le vrai Jake La Motta comme Martin SCORSESE a grandi à Little Italy. Comme lui, il a connu les sommets de la gloire et les tréfonds de la déchéance avant de s'en sortir par le biais de l'art. Le ring de boxe était déjà une métaphore de la scène mais c'est en tant qu'artiste de stand up dans une boîte de nuit que Jake La Motta a trouvé une forme de rédemption. Nul doute que Leos CARAX s'est souvenu de lui pour créer Henry McHenry, son artiste de stand up jaloux et violent scruté par les flashs des photographes, vêtu comme un boxeur et surnommé "le gorille de dieu" dans "Annette" (2019).
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