La Nuit du 12
Dominik Moll (2022)
Dominik MOLL a une filmographie en dents de scie. Avec "La Nuit du 12", film à petit budget qui a rencontré un succès-surprise en salles avant de s'imposer aux César, il signe son grand retour, plus de vingt ans après "Harry un ami qui vous veut du bien" (2000). Les deux films ont en commun leur inquiétante étrangeté au sens freudien du terme, c'est à dire une menace qui surgit là où on ne l'attend pas, du quotidien le plus familier et le plus banal et qui prend l'allure de l'inconscient refoulé, qu'il soit individuel comme dans "Harry un ami qui vous veut du bien" (2000) ou collectif comme dans "La Nuit du 12". Et ils ont également en commun une structure circulaire avec un début et une fin qui se répondent. Si le meurtre figurant au centre de l'intrigue de "La Nuit du 12" reste irrésolu (ce qui nous est annoncé d'emblée, désamorçant les attentes du spectateur à ce niveau-là et lui signifiant que les enjeux sont peut-être ailleurs), le fait est que Yohan, le capitaine de la P.J. chargé de l'enquête (Bastien BOUILLON) parvient à sortir de la boucle obsessionnelle dans laquelle il tourne en rond comme un poisson dans son bocal depuis la première image du film. A la nuit succède le jour, à la piste succède le col qu'il lui faut gravir en pédalant rageusement. Symboliquement, le cercle est brisé parce qu'une issue a quand même été trouvée.
En effet le film nous montre deux cercles. D'une part, la ronde formée par les anciens amants de la victime comme autant de déclinaisons possible du même problème fondamental: celui de l'incapacité de ces jeunes hommes à éprouver la moindre émotion à l'égard de la victime qui fait de chacun d'eux un coupable potentiel même s'il n'existe pas de preuve à même de les confondre. La plupart ont eu une relation opportuniste avec la jeune femme, perçue comme une récréation entre deux plages avec leur copine officielle, tous sont immatures et égocentriques, certains sont en prime jaloux et violents. Des primates sans coeur et sans cervelle. L'ensemble forme un portrait assez terrifiant de la masculinité toxique. Face à eux, un autre cercle, celui de la brigade criminelle de la P.J. elle aussi entièrement masculine, capable elle de réflexion et d'émotions mais tout aussi bourrée de préjugés du moins jusqu'à la dernière demi-heure du film qui se déroule trois ans après le meurtre. Le collègue de Yohan (Bouli LANNERS) ayant été muté pour faute professionnelle, il a été remplacé par Nadia (Mouna SOUALEM que j'avais trouvé formidable dans "Oussekine") (2022) qui souligne justement que les meurtriers sont majoritairement des hommes et ceux qui enquêtent aussi. Quelle place reste-il alors aux femmes? Peut-être celle de l'espoir de faire enfin un jour bouger les choses. C'est le sens du personnage de juge d'instruction joué par la trop rare Anouk GRINBERG qui parvient à débloquer les fonds dont la brigade manque cruellement pour reprendre l'enquête, aidant ainsi Yohan à s'échapper de sa prison mentale. C'est dans sa dialectique entre précision documentaire et échappées dans l'inconscient (les flashs sur le lieu du crime et le corps carbonisé) que le film trouve aussi sa force.
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