Vivre (Living)
Oliver Hermanus (2022)
Je n'ai pas vu le film original (plutôt méconnu et peu visible en France) de Akira KUROSAWA mais la démarche d'en faire un remake m'a tout de suite intéressée. Parce que c'est une idée de Kazuo ISHIGURO, l'auteur du magnifique "Les Vestiges du jour" (1993) adapté avec brio par James IVORY au début des années 1990. Kazuo ISHIGURO est japonais mais a grandi en Angleterre. Il a donc une connaissance très fine des points communs de ces deux sociétés insulaires et "cousues" c'est à dire dans lesquelles la nature humaine est écrasée par le poids des normes sociales. Cette répression des émotions et des sentiments au profit de la fonction était au coeur de "Les Vestiges du jour". "Vivre", dont il signe le scénario en offre un prolongement avec des scènes inaugurales qui mettent l'accent sur les rites d'une micro-société codifiée et dévitalisée, celle des fonctionnaires du service des travaux publics de la mairie de Londres qui dans l'après-guerre (l'histoire se situe dans la même temporalité que l'original c'est à dire au début des années 50) ont perdu le sens de leur travail. En voyant le parcours kafkaïen des dossiers transformés en balles que les services passent leur temps à se renvoyer ou à mettre de côté, on pense beaucoup aussi à "Brazil" (1985) de Terry GILLIAM, le plus british des américains (avec James IVORY justement) qui y rendait hommage à un certain Akira KUROSAWA. Akira KUROSAWA qui avait lui-même puisé une partie de son inspiration chez deux maîtres américains, John FORD et Frank CAPRA. L'influence de ce dernier est particulièrement forte dans "Vivre" qui raconte l'émancipation du doyen de ce groupe de larbins, M. Williams surnommé par miss Harris "M. Zombie" (elle ne croit pas si bien dire) qui en découvrant qu'il va mourir décide de se mettre enfin à vivre. Cela m'a rappelé un passage du livre "L'intelligence du coeur" de Isabelle Filiozat dans lequel celle-ci expliquait que la maladie était l'un des moyens de se connecter à ses émotions. A fortiori quand le temps qu'il reste à vivre est compté. C'est alors qu'intervient un autre atout-maître du film, Bill NIGHY dont les interprétations me transportent depuis "The Bookshop" (2017). Il est magnifique dans ce qui est son premier grand rôle ce qui me paraît dingue au vu de son talent, nous faisant ressentir la joie et la douleur qui s'emparent de son personnage ainsi qu'un sentiment d'urgence à accomplir un rêve d'enfant qui est aussi une forme de réparation. La finesse de son jeu mais aussi des autres acteurs, du scénario mais aussi de l'habileté du réalisateur que je ne connaissais pas, Oliver HERMANUS donnent de la subtilité aux échanges qui échappent ainsi à l'histoire convenue. C'est la scène tragi-comique du dîner avec son fils et sa belle-fille fondée sur un quiproquo lié à l'incapacité de ces trois-là à communiquer. C'est la superbe scène du pub avec Miss Harris qui passe progressivement de la gêne aux larmes lorsque M. Williams lui explique pourquoi il cherche à passer du temps avec elle. C'est enfin le sourire qui illumine les visages des employés du service des travaux publics quand ils se souviennent de M. Williams.
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