Al Pacino: Le Bronx et la Fureur
Jean-Baptiste Pérétié (2021)
"Al Pacino: Le Bronx et la fureur" laisse entendre rien que par le choix de son titre qu'il ne s'agit pas de bêtement compiler des archives mais qu'il y a un projet derrière. Mieux, une vision. Et c'est ce qu'il faut pour un acteur de cette trempe. Se concentrant sur les années fondatrices de sa carrière et lui donnant au maximum la parole au travers d'archives audio, le film met en évidence le lien organique qui relie l'acteur à sa ville et à une époque révolue, le New-York des années 70 ainsi que son lien très fort avec le Nouvel Hollywood qu'il contribua à façonner. C'est également un film habité par la passion de Al Pacino pour le théâtre, shakespearien en particulier et sa fidélité à des acteurs formant autour de lui une seconde famille (Marlon BRANDO son mentor formé comme lui à l'Actors studio et qui joue son père dans "Le Parrain" (1972), John CAZALE qu'il considérait comme son grand frère et qui l'était également dans ce même film ou encore Lee STRASBERG qui était alors directeur de l'Actors Studio et qui est le premier à prononcer son nom correctement, ce qui n'est pas un détail). Une flamme qui l'habite encore comme au premier jour comme le montre la conclusion du film, qui lui a permis de traverser cinquante ans de cinéma sans s'étioler et l'a régulièrement aidé à se ressourcer, à ne pas se faire "asphyxier" par un succès avec lequel on le devine, il n'a jamais été à l'aise, l'homme étant de nature réservée "le succès était fuyant, c'était étrange, cela me faisait peur. Ce qui me satisfaisait, c'était de jouer, c'est ce qui comptait. C'était vital, c'est ce qui me faisait tenir". L'homme est humble aussi. Lorsqu'il reçoit un Oscar après sept nominations pour un rôle dans un film pourtant mineur ("Le Temps d un week-end") (1993)", il évoque avec une émotion extrême ses origines modestes dans le sud du Bronx et le fait d'avoir donné de l'espoir à des jeunes issus du même milieu. De fait, Al PACINO a été le pionnier d'une lignée d'acteurs italo-américains issus des bas-fonds qui a vu la lumière grâce à la génération de réalisateurs contestataires du Nouvel Hollywood (qui voulait imposer des acteurs "non-aryens" à la culture WASP* dominante) et dont la légitimité à interpréter Shakespeare a sans cesse au début de sa carrière été interrogée en raison notamment de son accent**. Ce qui s'avère être d'une bêtise abyssale. Car où Shakespeare a-t-il puisé son inspiration sinon dans la tragédie antique c'est-à-dire en Grèce et en Italie, le berceau de la civilisation européenne mais aussi américaine. D'une certaine façon, Al Pacino qui incarne ce feu sacré ne fait que rappeler cette évidence.
* White anglo-saxon protestant.
** Cela m'a fait penser à Michael CAINE lui aussi issu d'un milieu populaire marqué par son accent cockney et qui affronte l'acteur shakespearien Laurence OLIVIER dans un duel cruel et feutré aux allures de lutte des classes dans "Le Limier" (1972) de Joseph L. MANKIEWICZ.
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