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Quelque part quelqu'un

Publié le par Rosalie210

Yannick Bellon (1972)

Quelque part quelqu'un

Le premier film de Yannick BELLON a pour titre un poème de Henri Michaux "Quelque part quelqu'un". Il est lui-même construit comme un poème avec des refrains et des couplets ou comme une partition musicale avec des choeurs et des solos. Les choeurs, ce sont d'innombrables plans de foule dans les rues de Paris parmi lesquels se détachent les quelques solistes qui vont faire vibrer les cordes de cette oeuvre profondément mélancolique sur la solitude des grandes villes en voie de deshumanisation accélérée. Les refrains, ce sont les tout aussi innombrables travellings faisant défiler les extérieurs et les intérieurs parisiens sur une musique funèbre de George DELERUE inspirée du requiem de Ligeti (que l'on peut entendre aussi sur "2001 : l odyssée de l espace") (1968). Il y a en effet du cauchemar dans cette succession de façades lépreuses parfois murées, parfois écroulées, dans les grands ensembles sans âme qui les remplacent, dans l'anonymat des foules noyées dans la mécanique des transports en commun ou les rangées de table de travail. Car le film de Yannick Bellon est aussi politique. En témoigne ce passage on ne peut plus prémonitoire sur le devenir des quartiers HLM: "voulez-vous que je vous dise comment tout cela va se terminer dans la réalité? Par un quartier sinistre, bien morne et tristement réglementaire. Avec de pauvres bougres parqués dans des surfaces minimales aux prises avec des moyens de transport hasardeux. Le tout pataugeant dans la bouillasse pendant des années de chantier (...) Un délabrement précoce guette l'ensemble, vu les matériaux utilisés (...) De toutes façons le concours est truqué (...) Soyons réalistes, tout ça se résume à un problème de rentabilité." "Quelque part quelqu'un" rejoint ainsi la liste des films de grands cinéastes des Trente Glorieuses pressentant les conséquences délétères de l'urbanisme moderne, de Jean-Luc GODARD à Jacques TATI en passant par Maurice PIALAT. Face à la catastrophe annoncée, certains se résignent comme le couple de petits vieux expropriés et faute de moyens financiers, obligé de s'exiler en banlieue. D'autres noient leur mal-être dans l'alcool à l'image de Vincent joué par un extraordinaire Roland DUBILLARD que sa compagne architecte (jouée par Loleh BELLON, la soeur de Yannick) tente d'aider. Le couple est inspiré de celui que formait Yannick Bellon avec Henry Magnan. Enfin d'autres décident de fuir le plus loin possible à l'image d'un étudiant en ethnologie à qui l'on offre la possibilité d'aller en Equateur. A travers les déambulations au milieu d'une brocante, au muséum d'histoire naturelle ou au jardin des plantes, la rencontre avec Claude Levi Strauss (dans son propre rôle) et la présence de Loleh Bellon, le film fait écho à un autre splendide poème cinématographique de la réalisatrice consacré aux transformations de Paris, "Jamais plus toujours" (1976).

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