Le Daim
Quentin Dupieux (2019)
Le premier film que je vois de Quentin DUPIEUX m'a paru tout simplement brillant! Et loin de le trouver "absurde", j'y ai vu au contraire une mise en abyme de l'art cinématographique et la mise en relief de la mécanique implacable du serial killer:
1. Il est dénué d'affects comme de personnalité, d'ailleurs le film s'ouvre sur la chanson de Joe Dassin "Et si tu n'existais pas, dis-moi pourquoi j'existerais?" Comme un écho un peu plus tard sa femme lui dit au téléphone "qu'il n'existe plus".
2. Comme il est une coquille vide, son apparence devient une obsession car c'est elle qui définit sa personnalité. Le daim est une seconde peau exactement comme la veste en peau de serpent que porte Nicolas CAGE dans "Sailor & Lula" (1990) (inspirée de celle que porte Marlon BRANDO dans le titre au titre éponyme). J'ai pensé aussi au personnage de "Le Silence des agneaux" (1989) qui se fabrique un vêtement avec des morceaux de peau prélevé sur ses victimes. Comme il est immature, c'est le vêtement qui mue à sa place. Celui de Georges (Jean DUJARDIN) renvoie autant à l'aspect infantile du personnage* qu'à la sauvagerie. Ses propos sur "son style de malade" qui "bute" (on pourrait ajouter "qui flingue") prennent un double sens tout à fait savoureux.
3. Plus on avance dans le film, plus le personnage s'enfonce dans sa folie obsessionnelle et par conséquent "s'ensauvage": le daim recouvre progressivement toutes les parties de son corps alors même qu'il bascule progressivement dans la folie meurtrière (dans la sauvagerie, terme plus approprié que l'animalité proprement dite).
4. Pour pleinement "jouir" de sa toute-puissance (être le seul être au monde à porter un blouson), il a besoin d'un miroir. Comme Robert De NIRO dans "Taxi Driver" (1976) autre être solitaire en pleine dérive meurtrière, il se parle à lui-même dans le miroir (ou bien il donne une anima à sa veste lorsqu'elle est pendue en face de lui). Mais la suite ressemble davantage à "Le Voyeur" (1960) sauf que celui qui se rince l'oeil devant les images de ses crimes n'est pas celui qui tue. "Le Daim" est un monstre à deux têtes. Georges qui est mythomane se prétend cinéaste mais il est en réalité un acteur en costume, dirigé (manipulé) par sa serveuse-monteuse, Denise (Adèle HAENEL) qui l'encourage a aller toujours plus loin (ou plus près, c'est selon ^^) dans sa mise en scène sanglante et l'aide également à compléter sa peau de bête.
5. Et pour en finir avec les références cinématographiques, j'ai beaucoup pensé à un autre film avec Robert De NIRO, "Voyage au bout de l Enfer" (1978) alias "The Deer Hunter" (1978) d'autant que l'histoire se déroule dans un décor de montagnes et que des plans d'authentiques daims scandent l'intrigue. Georges avec sa panoplie de cow-boy d'opérette finit par y prendre la place du daim, c'est à dire de la cible chassée comme les héros du film de Michael CIMINO qui de chasseurs se muent en soldats avant de revenir (ou pas) dans la peau (dans le rôle) de la victime.
* Comment ne pas songer aux personnages des films de Wes ANDERSON, notamment celui joué par Owen WILSON dans "La Famille Tenenbaum"? (2002)
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