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Nous ne vieillirons pas ensemble

Publié le par Rosalie210

Maurice Pialat (1972)

Nous ne vieillirons pas ensemble

Deuxième long-métrage de Maurice PIALAT, "Nous ne vieillirons pas ensemble" peut être vu comme une suite informelle de "L Enfance nue" (1968). Pas seulement sur la forme caractéristique de ce cinéaste, âpre, brute, rugueuse et sans souci de transitions entre les moments de vie retranscris (très scénarisés mais donnant l'impression d'être pris à l'improviste). Mais aussi sur le fond. Le petit François était un enfant de l'assistance. Le comportement invivable de Jean (à résonance fortement autobiographique) est en grande partie lié à sa peur de l'abandon. D'ailleurs Jean se comporte plus comme un enfant inadapté que comme un adulte. Inadapté car ne tolérant pas la frustration, incapable de s'engager et de faire des choix clairs donc également de renoncer, se servant de l'autre pour se défouler, obligé de s'expliquer, penaud devant les parents de sa maîtresse comme un enfant pris en faute et au final subissant logiquement les événements. Jean n'a pas plus de prise sur sa vie et sur lui-même que François n'en avait, tous deux oscillants d'ailleurs entre des moments d'intense demande affective et des moments de grande violence incontrôlable. Face à lui, non des assistants sociaux et des familles d'accueil (encore que les parents de Catherine jouent un peu ce rôle) mais une épouse (Macha MÉRIL) assez effacée et une maîtresse (Marlène JOBERT) sur laquelle va se concentrer le film qui raconte la fin de leur relation. Epoque oblige, la question du mariage pèse comme une épée de Damoclès (on ne dirait pas qu'il s'agit d'un film post soixante-huitard à entendre les références récurrentes à la Sainte-Catherine -prénom par ailleurs de l'héroïne- qui "coiffait" les femmes qui n'étaient pas encore mariées à 25 ans, âge limite des jeunes célibataires des films de Jacques DEMY par exemple, c'est dire si la pression sociale modelait les comportements) et on a presque l'impression que c'est davantage l'indécision de Jean qui pousse celle-ci à le quitter une fois l'âge "limite" atteint que son comportement de harceleur contre lequel elle se défend très mollement. Et pour cause, elle le supporte presque sans broncher depuis six ans. D'ailleurs on comprend tout de suite devant la répétition cyclique de leurs disputes et de leurs réconciliations que leur relation toxique est bien installée. Même si Jean est un cinéaste raté (Pialat noircit le tableau), son ascendant intellectuel et social sur Catherine (qu'il ne cesse de rabaisser et d'humilier) est suffisant pour empêcher celle-ci de lui mettre des limites (comme il faudrait le faire avec l'enfant qu'il est). Le fait que la majeure partie de leurs rendez-vous et donc de leurs disputes se déroule dans la voiture de Jean souligne à la fois le caractère clandestin de leur relation et le fait que Jean la domine (pour ne pas dire l'écrase). Jean YANNE pourtant habitué aux rôles de sales cons (j'ai encore en mémoire son rôle de père indigne dans "Enfants de salaud") (1995) haïssait son personnage et la façon dont Maurice Pialat voulait qu'il l'interprète, pourtant il est confondant de naturel et donne vraiment l'impression d'être le double du cinéaste, ce paradoxe vivant d'exécrable ours mal léché et d'enfant démuni profondément mélancolique. Marlène JOBERT n'aimait pas beaucoup non plus son personnage de potiche (ce qu'on remarque le plus au départ, outre la passivité de Catherine, ce sont ses petites tenues) mais elle réussit pourtant finalement à se libérer de l'emprise de Jean en prenant des décisions qui contrairement à lui sont irrévocables, c'est à dire en prenant sa vie en main. Et dans la réalité, c'est Marlène JOBERT qui a réussi à mettre de l'huile dans les rouages entre un réalisateur arc-bouté contre le monde (comme l'a bien montré sa réaction à Cannes pour la Palme d'or de "Sous le soleil de Satan") (1987) et une équipe remontée contre lui, permettant au film de se faire. Le tout pour un résultat unique car profondément vrai. Un vrai qui dérange d'ailleurs (le film pourrait-il se faire aujourd'hui? J'en doute).

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