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Tokyo Shaking

Publié le par Rosalie210

Olivier Peyron (2021)

Tokyo Shaking

Voilà un film, sorti en juin 2021 qui ne paye pas forcément de mine mais pourtant qui vaut le détour. En effet il donne un bon aperçu de la diversité du comportement humain en situation de crise à l'échelle d'une entreprise. L'introduction adopte un ton satirique ("tout va très bien Madame la Marquise") pour signifier que dans leur tour d'ivoire (ou plutôt de verre et d'acier) les décideurs (dys)fonctionnent selon leur logique fictionnelle du "storytelling capitaliste" jusqu'à l'absurde. Absurde que va boire jusqu'à la lie Alexandra, cadre ambitieuse spécialisée dans la finance expatriée à Hong-Kong avec sa famille à qui l'antenne japonaise d'une banque française offre une promotion. Elle déménage donc avec ses enfants et découvre (première déconvenue) qu'au lieu de lui donner des tâches financières, on lui fait faire le sale boulot des RH: dégraisser le personnel. Et la voilà en train d'annoncer la mauvaise nouvelle à son stagiaire qu'elle avait pourtant promis d'intégrer alors que la terre se met à trembler. Mais pendant un certain temps, Alexandra comme le reste du personnel continuent comme si de rien n'était car rien ne doit arrêter la machine entrepreneuriale.

La suite relève de la même logique. Alors que le réel cogne de plus en plus fort à la porte des métropoles mondialisées qui dirigent le monde (séisme puis tsunami puis catastrophe nucléaire, le film reconstituant les événements ayant conduit à l'accident nucléaire de Fukushima), Alexandra n'entend autour d'elle que des discours "rassuristes" (ça ne vous rappelle rien?) sur le thème "tout est sous contrôle", doit préparer une évacuation collective du personnel de l'entreprise sur les ordres de son chef qui va s'avérer être une pure manoeuvre de diversion pendant que ce dernier s'enfuit en douce, découvre comment les traders spéculent sur la catastrophe, reçoit des consignes contradictoires qui la mettent dans une situation impossible (une mère de famille doit sauver ses enfants mais une cadre d'entreprise doit rester à son poste sous peine d'être licenciée, ça s'appelle la double contrainte et ça, notre société adore!) etc., etc. Et c'est ainsi que l'on découvre, ô surprise, que lorsque la bulle d'illusion créée par l'aveuglement collectif éclate (comme les bulles spéculatives), c'est le chaos du chacun pour soi qui l'emporte alors qu'on nous vante à longueur de temps notre capacité à gérer les risques et que les chances de s'en sortir varient selon votre place dans la hiérarchie sociale, votre niveau de revenus, la qualité de votre réseau, votre genre, votre nationalité etc. Bref que toutes les inégalités en temps de crise sont exacerbées. Dans cette nouvelle configuration, Alexandra se retrouve au final malgré elle du côté des victimes et devient solidaire d'eux. Une découverte de soi à travers une société des antipodes dont elle adopte les codes et qu'elle apprend à découvrir. Symboliquement à la fin du film, Alexandra quitte les lieux occidentaux dans lesquels elle était enfermée depuis son arrivée à Tokyo -une prison de verre que le film souligne particulièrement bien- pour aller à la rencontre de la vraie société japonaise.

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