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First Cow

Publié le par Rosalie210

Kelly Reichardt (2019)

First Cow

Le western est un genre qui, comme beaucoup d'autres (le film d'action, le film d'aventures, le film de gangsters, le film de guerre, le film noir) a été façonné par des hommes (occidentaux) à leur propre gloire: à eux l'exploration, la conquête, l'appropriation des territoires, la "mise en valeur" et à eux aussi la mise en récit (narcissique) de leurs exploits guerriers et bâtisseurs. Bien que le western classique n'ait jamais été univoque (le cinéma de John Ford ou de Anthony Mann, deux réalisateurs que j'admire en témoigne) et bien que le genre ait été déconstruit depuis bien longtemps, il manquait d'un regard spécifiquement féminin pour l'aborder. Depuis quelques années, c'est chose faite: les femmes s'emparent du genre et livrent leur propre récit de la conquête de l'ouest et des hommes qui l'ont faite. 

"First Cow" est le deuxième western de Kelly Reichardt (après "La Dernière piste"), cinéaste indépendante américaine qui aime dépeindre des marginaux, comme elle l'est elle-même dans le monde du cinéma. Il est intéressant de souligner que dans l'introduction de son film, une jeune femme anonyme contemporaine de nous (qui pourrait être la cinéaste elle-même) déterre deux cadavres dont elle raconte ensuite l'histoire. Une histoire ignorée ou longtemps étouffée par la civilisation dominante. C'est un thème ultra contemporain: "Madres Paralelas", le dernier film à ce jour de Pedro Almodovar procède lui aussi à une exhumation de corps pour raconter une histoire "parallèle" à celle qui a longtemps été officielle. 

Le film de Kelly Reichardt se déroule en Oregon au début du XIX° siècle dans une forêt généreuse et luxuriante traversée par un grand fleuve. Une nature splendide filmée de manière contemplative et sensuelle avec un luxe de détails sur les couleurs, les jeux de lumière, les sons, comme un grand organisme vivant. Le choix d'un format d'image carré à l'ancienne proche du temps du muet (le film, épuré et minimaliste est très peu bavard et possède une intrigue des plus ténues ce qui peut rebuter) ramène à cette idée de paradis originel, à peine égratigné par les nombreux trappeurs qui le sillonnent et la présence du fort. Néanmoins les apparences sont trompeuses: la vie des hommes est primitive, rude et l'arrivée des colons prédateurs en fait une jungle où règne la loi du plus fort. Les deux personnages principaux, "Cookie" surnommé ainsi parce qu'il a une formation de cuisinier et King-lu, un chinois qui rêve de faire fortune nouent une solide amitié mais leur naïveté leur sera fatale. En effet ils s'avèrent inadaptés au monde qui commence à se construire autour d'eux: celui des prémisses du capitalisme, symbolisé par une vache importée par le gouverneur du fort. Cet être vivant dont ils ont besoin pour monter leur entreprise, se retrouve parqué dans un enclos et gardé par des fusils et y toucher signifie la mort. Il est d'ailleurs dommage que Cookie et King-lu se compromettent dans le monde violent et corrompu en train de naître (celui des "winners" et des "losers" dont ils font évidemment partie) au lieu de prendre le large et de se reconstruire ailleurs, autrement. On aurait aimé aussi plus de détails sur les autres peuples fréquentant les lieux et notamment les indiens, retranscrits avec un réalisme qui fait penser au film de Terrence Malick "Le nouveau monde" mais un peu rapidement. Enfin, ce cinéma tout en retrait et en creux manque à la fois de puissance et d'émotion, deux notions que l'on peut dégenrer et qui ne sont pas incompatibles.

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