Les Carabiniers
Jean-Luc Godard (1963)
Fable antimilitariste presque abstraite tant elle est distanciée et décontextualisée qui semble réalisée à l'arrache avec trois francs six sous et des acteurs inconnus, "Les Carabiniers" vit dans l'ombre des deux grands films de Godard qui l'ont précédé et lui ont succédé "Vivre sa vie" (1962) et "Le Mépris" (1963). Pourtant, je le trouve personnellement assez réussi car il m'évoque à la fois le "Affreux, sales et méchants" (1976) de Ettore SCOLA à cause du cadre dans lequel vivent les personnages (terrain vague et bidonville) ainsi que leur comportement "ras du front" et la pièce "Ubu roi" de Alfred Jarry à cause du ton résolument absurde des situations, de la crédulité enfantine de Ulysse et Michel-Ange contrastant avec leur comportement meurtrier et du fait que l'une de leurs femmes ne cesse de dire "merdre" à tout bout de champ. Rempli d'autodérision avec ses quatre crétins vivant dans une cabane mais se faisant appeler par de grands noms (Ulysse, Michel-Ange, Venus et Cléopâtre), le film dénonce l'absurdité de la guerre en mélangeant des images d'archives et des images de fiction dans lesquelles on voit les deux paysans, manipulés par les carabiniers qui les ont enrôlé en leur promettant de devenir riches comme Crésus commettre toute une série d'exactions et de crimes avant de ramener dans une valise ce qu'ils croient être leur trésor de guerre: en fait on découvre qu'ils n'en ont rapporté que les images (lors d'une séquence en hommage aux frère Lumière, on voyait déjà l'un des compères incapable de discerner la différence entre l'image et la réalité puisque comme les premiers spectateurs, il croyait qu'il allait se prendre le train dans la figure et pouvoir vraiment caresser une femme nue dans son bain) et qu'ils sont en réalité les dindons d'une sinistre farce dont leur cerveau épais n'a pas compris qu'ils finiraient par en être les victimes "qui vit par l'épée périra par l'épée". Bref, "Les Carabiniers" a quelque chose d'une blague de sale gosse un peu je m'en foutiste sur la forme qui adopte un ton burlesque (et des clins d'oeil à Charles CHAPLIN, celui de "Les Temps modernes" (1934) et celui de "Le Dictateur") (1940) mais sur le fond, la violence est montrée ou évoquée de façon très réaliste avec l'évocation d'épisodes de la Shoah en URSS ou des exécutions d'otages reconstituées de façon très crédible.
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