Le Sang d'un poète
Jean Cocteau (1930)
Bien qu'un peu brouillon (Jean COCTEAU ne connaissait alors rien de la technique cinématographique), "Le Sang d'un poète", son premier film se révèle être suffisamment riche pour retenir l'attention. Financé par le mécénat de Charles de Noailles, friand d'expérimentations surréalistes (il est également derrière "L'Âge d or (1930) de Luis BUÑUEL), "Le Sang d'un poète" préfigure aussi bien "La Belle et la Bête" (1945) que "Orphée" (1950). Les trucages artisanaux inspirés de Georges MÉLIÈS (et de Max LINDER) se combinent aux obsessions du poète qu'est fondamentalement Jean COCTEAU quel que soit le support qu'il utilise. La combinaison accouche de thèmes et d'images qui ne cesseront de revenir hanter sa filmographie: l'univers des mythes antiques et des contes de fée, les étoiles, la plongée dans un miroir "qui ferait mieux de réfléchir à deux fois avant de renvoyer les images", la traversée onirique en apesanteur/au ralenti/en arrière d'un long couloir, le tiraillement entre pulsion créatrice et pulsion suicidaire, les limites poreuses entre la créature et son créateur, l'exigence dévoratrice de la première menaçant l'existence du premier. Une réflexion que l'on retrouve chez l'un de ses héritiers*, Jacques DEMY qui dans "La Baie des anges" (1962) associe les joueurs (et par extension les artistes) à des vampires**. La bouche qui s'affiche en surimpression sur la rose dans "Peau d'âne" (1970) fait penser directement à celle qui s'anime au creux de la main du poète et qui évoque une blessure ouverte (ou un sexe féminin? En tout cas quelque chose d'angoissant par où peut s'écouler le sang, autre élément récurrent du film de Jean COCTEAU).
* "Lola" (1960) a le Demy-sang d'un poète écrira Cocteau à son fils spirituel.
** "La Baie des anges" (1962) met en scène la violence qu'il y a à être accroché au royaume des ombres, des spectres et des morts quand la famille, la vie, le travail, la société, la normalité, la raison nous convoque de l'autre côté, vers l'horizon lumineux des vivants. La baie des Anges est un grand film de vampires, cette forme de transfusion artificielle de la vie et du sang dont ont aussi besoin les artistes. (Hélène Frappat).
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