L'Ange Bleu (Der blaue Engel)
Josef von Sternberg (1930)
"L'Ange bleu" est ce qu'on appelle un classique incontournable de la cinématographie mondiale parce que c'est le premier film parlant du cinéma allemand et qu'il a révélé l'une des plus grandes stars du XX° siècle, alias Marlène Dietrich. D'ailleurs l'aura du film est aujourd'hui davantage liée à cette dernière qu'à son statut d'héritier de la faste période muette expressionniste des années 20. A l'époque, Emil Jannings était la plus grande star allemande mais il n'est pas entré dans la mémoire collective mondiale. Non qu'il manquait de charisme mais il avait tendance à surjouer. Ce qui était naturel au temps du muet où il fallait exagérer l'expressivité a perdu de sa pertinence avec l'arrivée du parlant. Ensuite, les rôles endossés par Emil Jannings n'ont pas contribué à le faire passer à la postérité. Comme dans "Le Dernier des hommes" de Murnau, il joue un rôle qui se confond avec son habit social avant de connaître la déchéance (pour mémoire dans "Le Dernier des hommes " il finissait en monsieur pipi et dans "L'Ange bleu" en clown sur la tête duquel on casse des œufs alors qu'il était au départ respectivement portier et professeur). Cette fascination pour le costume prestigieux, le côté guindé/coincé qui va avec et ce masochisme ne sont plus ce qui traduit le mieux actuellement le déclassement social. Enfin la vie et la scène ne faisant qu'un, le fait que Emil Jannings se soit compromis avec Hitler (même s'il ne fut jamais membre du parti nazi) précipita la fin de sa carrière puisqu'il fut blacklisté par les alliés. A l'inverse de Emil Jannings, Marlène Dietrich qui avait déjà tourné mais qui était alors inconnue (elle fut imposée au forceps par Sternberg) fit les bons choix qui lui ouvrirent les portes d'Hollywood avec le succès que l'on sait. Et en dépit de l'âge du film, sa prestation pleine d'aplomb reste toujours aussi fascinante d'autant plus qu'elle est filmée d'une manière extrêmement érotique par Josef von Sternberg qui insiste particulièrement sur ses jambes (quand elle enlève ses bas, on pense à "Gilda"). C'est d'ailleurs la partie cabaret du film qui a le mieux passé les épreuves du temps, le film éponyme de Bob Fosse s'en étant fortement inspiré. Josef von Sternberg tire remarquablement parti des contraintes cinématographiques de l'époque et fait construire des décors qui reflètent la psyché malade du professeur, notamment les coulisses étriquées du cabaret que von Rath encombre, lui qui ne sait pas quoi faire de son corps et qui se fait ridiculiser (le clown triste qui colle à ses basques annonce son destin funeste) avant même de subir l'opprobre dans son prestigieux "gymnasium" pour s'être compromis avec une vulgaire chanteuse de cabaret. Un univers parfaitement reconstitué d'autant que von Sternberg venait d'un milieu populaire qui contraste avec la morgue hautaine du professeur. Mais dès les premières images, le faux-semblant domine sa vie avec un décalage total entre le costume et le titre dans lesquels il se pavane et sa chambre miteuse sous les toits ainsi que le manque de respect flagrant (et justifié) des élèves à son égard. Il en va de même de son attitude rigide et moralisatrice de père la pudeur qui tel un ballon de baudruche se dégonfle en quelques secondes lorsque Lola-Lola lui jette sa culotte à la figure (et oui, bien avant Madonna!) Enfin l'utilisation du son qui était alors une nouveauté est assez saisissante là aussi avec une alternance de passages silencieux hérités du muet et de passages bruyants dans le cabaret notamment, la transition de l'un à l'autre s'effectuant brutalement lorsque les portes se ferment derrière les artistes.
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