César et Rosalie
Claude Sautet (1972)
Avec les films de Claude Sautet des années 70, on commence toujours par se prendre un "choc culturel" dans les dents. C'était l'époque où on fumait comme des pompiers, où on roulait comme des dératés et où personne ne s'offusquait que Rosalie (Romy Schneider) soit reléguée dans le rôle de la potiche qui sert le café (dans l'atelier de David alias Samy Frey) ou les glaçons (chez César alias Yves Montand) pendant que ces messieurs créaient leurs bandes dessinées ou jouaient au poker "entre hommes". Mais Claude Sautet est également un orfèvre des sentiments qui échappe au temps, de même que ses personnages échappent aux stéréotypes datés. Rosalie a l'air d'une poupée décorative mais sa valse-hésitation amoureuse montre qu'elle se cherche à s'affirmer entre ces deux hommes aux tempéraments opposés mais au fond pas si différents puisqu'ils finissent par devenir copains comme cochons après s'être "virilement" frottés l'un à l'autre. César, le prolo parvenu (le sens du détail de Sautet fait aussi merveille dans le domaine social, que ce soit le prix d'un tableau sous-évalué ou des chaussures mal assorties) en fait des tonnes dans la jovialité sans parler de sa tendance au bluff qui cache (mal) ses angoisses (relatives à la taille de sa bistouquette ^^) et une impulsivité qui ne cesse de lui faire perdre le contrôle de lui-même au point de tout casser. David est à l'inverse aussi flegmatique que César est sanguin mais il est froid, taciturne et fuyant. Il allume des feux sans en assumer les conséquences ensuite comme l'atteste le fait qu'il a séduit Rosalie par le passé avant de la laisser à un autre homme. On comprend que celle-ci, tyrannisée par la possessivité anxieuse du premier et maintenue à distance par l'égoïsme du second ait envie de fuir. Mais on comprend aussi pourquoi elle hésite. César a la générosité (matérielle mais aussi du cœur) qui manque à David et sa vulnérabilité d'enfant perdu est désarmante. David a le recul, la tendresse et la douceur qui manquent à César. Les deux hommes sont complémentaires et leur apprivoisement réciproque (celles de leurs peurs) est peut-être la clé qui fera revenir Rosalie.
En bref, le banal triangle amoureux cache quelque chose de bien plus profond: une quête de soi, par-delà le rôle social qu'on attend de soi (rôle défini par le genre ou le statut social). C'est tout le talent de Sautet de dépeindre des scènes de groupes conviviales et en même temps de faire ressentir l'irréductible solitude de chacun au milieu de tous, le contexte d'une époque et ce qui reste quand tout le reste a disparu, la mélancolie sous la jovialité, la peur sous l'apparente assurance.
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