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Le Temps de l'Innocence (The Age of Innocence)

Publié le par Rosalie210

Martin Scorsese, (1993)

Le Temps de l'Innocence (The Age of Innocence)

"Gosford Park"? "Downton Abbey"? "Chambre avec vue"? Il y a un peu de tout ça dans "Le Temps de l'innocence" avec sa description d'une passion interdite dans le milieu codifié de la grande bourgeoisie new-yorkaise de la seconde moitié du XIX°. C'est avec un œil d'entomologiste (d'où mon allusion au film de Robert Altman scénarisé par Julian Fellowes) que Martin Scorsese observe et dépeint ce milieu par le truchement d'une narratrice qui a un double rôle. Celui de nous expliquer le fonctionnement de ce monde centré sur les apparences, les convenances, les arrangements (matrimoniaux notamment) mais également empli de non-dits, d'hypocrisie et de ragots et où les hommes jouissent d'une liberté dont les femmes sont dépourvues. La narratrice est aussi le double de l'auteure du roman adapté par Scorsese, Edith Wharton qui fut la première femme à obtenir le prix Pulitzer du roman et faisait partie de cette haute société new-yorkaise. D'où sa connaissance approfondie des règles régissant son monde et en même temps un sensibilité féministe perceptible au travers du personnage de la comtesse Ellen Olenska (Michelle Pfeiffer) qui décide de vivre séparée de son mari quitte à faire scandale. Le sensible mais il faut le dire aussi très pusillanime Newland Archer (Daniel Day-Lewis aussi guindé que dans "Chambre avec vue" mais beaucoup moins ridicule) est attiré par la comtesse mais il la dissuade de divorcer par peur qu'elle ne soit définitivement mise au ban de la société. De même il s'avère incapable de remettre en question son mariage arrangé avec May (Winona Ryder) qui s'avère bien plus fine mouche qu'elle ne le paraît. Au final, son obsession du paraître social le conduit à creuser la tombe de son moi authentique au profit d'une vie de simulacre. Dans le fond, cela l'arrange car cette fuite lui permet de se réfugier dans la facilité de la rêverie nostalgique. La très belle scène dans laquelle il contemple de dos la comtesse en train d'observer un bateau croiser un phare définit assez bien sa conception de la vie: elle ne se retournera ou ne l'étreindra que dans son imaginaire et la dernière scène dans laquelle il est pourtant libéré de toute attache montre que c'est bien le rêve qu'il choisit au détriment du réel.

La beauté formelle du film éclate à chaque image qui est d'un grand raffinement (on sent l'influence de Visconti et aussi du duo formé par Michael Powell et Emeric Pressburger). Néanmoins j'ai trouvé la reconstitution et l'analyse du milieu social beaucoup plus convaincante que l'aspect intimiste de l'histoire. L'interprétation est certes brillante mais le film est très froid. Tout cela manque de passion, de sensibilité, de sensualité. Les quelques moments volés par Newland et la comtesse sont littéralement étouffés par le poids des conventions qui écrase le film. Cette comparaison peut sembler incongrue mais dans la catégorie du réalisateur le plus improbable de superbes mélodrames ce n'est pas Scorsese que j'élirais mais Bertrand Blier (pour "Beau-Père", "Trop Belle pour toi" et "Le Bruit des glaçons" qui racontent tous des histoires d'amour dérangeantes socialement avec une extrême sensibilité et un romantisme fulgurant).   

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