Le Corbeau
Henri-Georges Clouzot (1943)
"Le Corbeau", deuxième long-métrage de Henri-Georges Clouzot me fait penser tant sur le fond que sur la forme à un "M. Le Maudit" français. Le contexte trouble dans lequel ces films ont été réalisé (occupation allemande, montée du nazisme) explique en partie leurs similitudes. Sur la forme, une ambiance expressionniste façonnée pour le clair-obscur ("où est l'ombre, où est la lumière?") d'une plongée dans les abysses de la complexité humaine. Sur le fond, cet éclairage des tréfonds de l'individu en souffrance s'avère finalement moins effroyable que la bestialité des foules prêtes à lyncher le premier "coupable" venu sur la foi de simples rumeurs portées par les ravages de la délation. "Culpabilité" qui dans le film de Clouzot cible particulièrement les femmes. C'est même à un véritable procès de la féminité dans sa sexualité et ses capacités reproductrices que nous assistons. La première scène se focalise sur l'étonnement suspicieux que suscite le choix du Dr Germain (Pierre Fresnay) lors des accouchements difficiles de sauver la mère quitte à sacrifier l'enfant. C'est sur cet aspect que s'acharne le corbeau (pseudo passé depuis dans le langage courant pour désigner les auteurs de lettres anonymes diffamatoires) en l'accusant de lettre en lettre d'être un "faiseur d'anges" (ce qui était passible à l'époque de la peine de mort). Les autres calomnies portent sur sa sexualité jugée débridée avec les femmes du coin. Les lettres de délation pointent en effet moins les turpitudes des notables locaux que les désirs sexuels de femmes plus frustrées les unes que les autres. Marie Corbin (Helena Manson), l'infirmière-assistante et belle-soeur du Dr Vorzet (Pierre Larquey), une vieille fille revêche et rigide est la cible d'une hallucinante "chasse aux sorcières" suggérée par une bande-son hurlante et des cadrages obliques avant qu'elle ne découvre son appartement dévasté. A l'inverse, Denise (Ginette Leclerc) est victime de son image de garce qui alimente la défiance du Dr Germain (qu'elle traite, insulte suprême de "bourgeois"). Entre les deux, il y a Laura (Micheline Francey), l'épouse du Dr Vorzet, et sœur de Marie Corbin beaucoup plus jeune que son mari dont les airs de sainte-nitouche dissimulent mal le désir qu'elle porte au Dr Germain. Sans oublier Rolande (Liliane Maigné), adolescente voleuse et malveillante qui comme Marie avec la correspondance privée du Dr Germain n'hésite pas regarder par le trou de la serrure à l'intérieur de son appartement. Bref, ce dernier est au cœur de tous les fantasmes de ces femmes alimentés par le terrible secret qui l'empêche de se réconcilier avec la vie. Du moins jusqu'à la scène où Denise qui a réussi à fêler sa carapace l'invite à la regarder au-delà des apparences, l'obligeant enfin à se dévoiler.
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