Who's That Knocking at My Door
Martin Scorsese (1967)
J'ai une tendresse toute particulière pour les premiers longs-métrages de grands cinéastes. Et il se trouve que celui de Martin SCORSESE appartient comme "Taxi Driver" (1976) à sa veine introspective et intimiste (celle que je préfère). Son style n'est pas sans rappeler la nouvelle vague française à laquelle Scorsese fait d'ailleurs référence lorsqu'il engage pour une séquence hot la Anne COLLETTE de "Charlotte et Véronique / Tous les garçons s appellent Patrick" (1957) de Jean-Luc GODARD. On pense également beaucoup au premier film en noir et blanc de John CASSAVETES, "Shadows" (1958) qui dépeignait le destin d'une fratrie afro-américaine à New-York avec une liberté de ton et de style que Scorsese reprend: caméra portée, montage nerveux, bande-son avant-gardiste et jeu d'acteurs inconnus qui semble improvisé. Parmi eux, une révélation: Harvey KEITEL qui deviendra un abonné des premiers longs-métrages de grands cinéastes ("Les Duellistes" (1977), "Reservoir Dogs") (1992) mais qui était alors jeune et parfaitement inconnu. Son charisme éclate dès ce premier film qui oscille entre deux histoires racontées en montage parallèle et qui semblent ne rien avoir en commun alors qu'en réalité l'une "explique" l'autre. D'une côté une immersion au sein d'une bande de voyous du quartier de Little Italy qui naviguent entre bagarres, beuveries, drague et errances nocturnes. De l'autre une histoire d'amour romantique qui peu à peu se grippe lorsque les déterminismes sociaux et culturels finissent par l'emporter sur les sentiments.
Je ne peux que rejoindre le commentaire précédent en disant que "Who's That Knocking at My Door" (1967) est une illustration parfaite des mécanismes patriarcaux et de l'aliénation masculine que dénonce Virginie Despentes dans son essai "King Kong Théorie". JR est l'un de ces innombrables hommes que l'éducation religieuse catholique a coupé en deux dans son rapport à l'autre sexe (la première scène dans le foyer familial sous influence montre de façon symbolique ce clivage). D'un côté la "madone" vierge que l'on met sur un piédestal et qui est destinée à la conjugalité et à la maternité avec des rapports sexuels réduits au minimum une fois le mariage consommé. De l'autre les putains "avec lesquelles on s'amuse mais que l'on épouse pas". Sa "Girl" dont on ne saura jamais le nom a toutes les apparences de la première catégorie. Tellement d'ailleurs qu'il en perd tous ses moyens lors de leur premier essai, les hommes sous emprise religieuse se représentant leur sexualité comme coupable et dégradante. Mais lorsqu'il apprend que sa "madone" n'est en fait plus vierge à la suite d'un viol, celle-ci perd instantanément tout sa "valeur" et apparaît à jamais flétrie à ses yeux. Le vernis d'américanité grâce auquel il l'a rencontré (par le biais de discussions sur le western et sa figure la plus célèbre, John WAYNE) ne pèse alors pas bien lourd par rapport aux préjugés du milieu dans lequel il a grandi. "Who's that knocking at my door" dépeint ainsi une histoire d'échec, celui de l'ouverture à l'autre et du métissage face à l'identité communautariste du ghetto.
Commenter cet article