7 p., cuis., s. de b., ...à saisir
Agnès Varda (1984)
Ce court métrage a été tourné dans l'hospice désaffecté Saint Louis d'Avignon pendant l'exposition « Le vivant et l'artificiel » qui avait lieu en 1984. La réalisatrice a laissé libre cours à son imagination et s'est approprié les lieux de l'exposition. Elle a elle-même du mal à définir son œuvre mais il semblerait qu'il s'agisse d'une sorte de recueil d'images en écho avec des sentiments perçus lors de sa confrontation avec les lieux. On peut définir cette technique de réalisation comme une application cinématographique de pensées immédiates d'où une succession de flashs et une ambiance globale surréaliste avec tout un travail esthétique qui préfigure ses films-installations comme "Les Plages d Agnès" (2007). Les références vont des natures mortes picturales jusqu'aux œuvres des artistes plasticiennes contemporaines Louise Bourgeois et Annette Messager. Les pièces névralgiques du film sont comme le titre l'indique la cuisine aux proportions digne d'un restaurant abritant une nourriture gélatineuse ou en plastique (comme les dinettes d'enfant mais à taille réelle) et la salle de bains, succession de boxes abritant des lavabos qui finissent recouverts de plumes et de poussière, comme s'ils étaient embaumés.
Mais l'aspect décousu du film ne l'est qu'en surface. En effet on a une unité de lieu qui est cet ancien hospice que la réalisatrice "fait parler" en faisant y ressurgir des mémoires. S'y télescopent les époques et les genres. D'un côté le documentaire avec quelques témoignages des anciennes pensionnaires ayant réellement vécu entre ses murs et n'en étant peut-être jamais parties. De l'autre la fiction avec un agent immobilier faisant visiter les lieux comme s'ils pouvaient intéresser des particuliers et évoquant le premier propriétaire, un médecin à travers lequel Agnès VARDA fait le procès du patriarcat. Son épouse soumise qui enchaîne les grossesses avant de confier les bébés à la bonne et dont il finit par se détourner avec dégoût quand elle vieillit (illustrant ainsi la répulsion des masculinistes vis à vis des femmes de plus de 50 ans) et ses six enfants sur lesquels il exerce une autorité tyrannique jusqu'à ce que sa fille aînée Louise se rebelle, incarnant les combats féministes des années 70. Louise cherche à s'échapper de ce "foyer" étouffant et de l'emprise de son père (dont elle porte le prénom féminisé) et trouve une alliée en la personne de la bonne, Yolande (Yolande MOREAU dont c'était la première apparition au cinéma) totalement provocante, du genre à fumer en cuisinant la blouse entrebâillée (ce qui est déjà trop pour Madame) et à cracher dans la soupe au sens propre ^^. L'agent évoque également un drame ayant poussé le médecin à s'enfuir avec ses enfants, on comprend à demi-mot qu'il a peut-être tué sa femme ou sa fille.
A ces deux mémoires, l'une réelle et l'autre fictionnelle, Agnès Varda ajoute une autre opposition, celle du corps humain fait de chair (elle filme d'ailleurs deux corps nus aux deux extrêmes de la vie, un bébé et une vieille dame, celle que l'on retrouve également dans "Sans Toit ni Loi") et celle de mannequins mécaniques grandeur nature dotés d'une respiration artificielle.
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