Ulysse
En 1954, Agnès VARDA prend une photographie à St-Aubin-sur-Mer sur une plage de galets avec un homme nu vu de dos, un enfant, nu lui aussi assis près de lui et à l'opposé au premier plan, une chèvre morte. 30 ans plus tard, elle interroge l'histoire de cette photographie mais aussi les traces qu'elle a pu laisser dans les souvenirs de ceux qui y ont participé (y compris elle-même). Ce faisant, elle fait revivre un moment d'histoire collective à l'aide d'images d'archives en même temps que différentes trajectoires individuelles à travers les témoignages de l'homme vieillissant et de l'enfant devenu adulte. Car la photographie a le pouvoir de fixer l'instant et de lui faire traverser le temps. En même temps, elle interroge aussi la photographie dans son rapport à l'art pictural (elle a fait dessiner à l'enfant la photographie qu'elle avait prise et interroge ainsi les différences entre le cliché et l'interprétation picturale qu'il en a donné) et plus généralement à l'imaginaire. La photo est en effet composée comme un tableau suffisamment évocateur et énigmatique pour susciter différentes interprétations, notamment mythologiques. Si le film s'appelle Ulysse, c'est autant en référence au prénom de l'enfant sur la photo qu'à l'homme nu de dos qui regarde la mer. Il y a d'ailleurs de l'Œdipe dans cet Ulysse puisque le matin, le midi et le soir (l'enfance, l'âge adulte et le cadavre) se retrouvent sur la même image, une autre façon de souligner le rôle mémoriel de la photographie. Mais c'est aussi un cliché qui renvoie à toute l'œuvre cinématographique à venir de Agnès VARDA: on pense notamment à "Daguerréotypes" (1975) par le fait que le petit garçon appartient à une famille de réfugiés espagnols habitant à côté de la réalisatrice au temps où la rue Daguerre était populaire. On pense à "Jacquot de Nantes" (1991) par le lien établi entre l'enfance et la mort et ces plans dans lesquels un Jacques DEMY moribond bien réel est allongé sur la plage tandis que d'autres caressent le tableau qu'il a peint montrant un couple nu sur une autre plage (là encore un matin, un midi et un soir). On pense aussi bien sûr à "Les Plages d Agnès" (2007) puisque outre l'amour de la réalisatrice pour les bords de mer, il a ce retour en arrière sur les débuts de sa carrière quand elle s'apprêtait à basculer de photographe à cinéaste avec le tournage de "La Pointe courte" (1954).
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