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Mur murs

Publié le par Rosalie210

Agnès Varda (1980)

Mur murs

Beaumarchais avait dit à la fin du XVIII° siècle que le mur murant Paris rendait Paris murmurant. Agnès VARDA fait murmurer les murs d'une ville californienne qui ne s'offre pas d'elle-même. En effet, débarrassée des clichés véhiculés par l'industrie hollywoodienne, la cité des anges apparaît comme une ville aussi immense que morcelée. De loin, une ville de bâtiments bas étendue à l'infinie, faite pour être traversée en voiture et non pour être "habitée" mais de près, une ville au contraire de "gated communities" étrangères voire hostiles les unes aux autres avec pour symbole la rivière asséchée marquant l'entrée de "l'East L.A.", le quartier-ghetto latino non incorporé au reste de la ville. C'est là que Agnès VARDA a posé sa caméra ainsi que dans d'autres quartiers habités par des minorités noires, asiatiques ou caribéennes. Car c'est dans ces quartiers non intégrés à l'image que la ville offre d'elle-même au reste du monde qu'elle a découvert un trésor caché: les "murals", d'immenses fresques peintes à même les murs exprimant l'identité culturelle de ces groupes privés de visibilité officielle. La dimension esthétique rejoint ainsi la réflexion politique, Agnès VARDA ayant une fascination pour la marge et la contre-culture, que ce soit dans ses documentaires (des "Black Panthers" (1968) à "Les Glaneurs et la glaneuse" (2000)) ou ses fictions ("Sans toit ni loi" (1985)). Les "murals" par leur forme même constituent une antithèse de l'art officiel (le street art est par définition gratuit, public et éphémère car destiné à se dégrader et à disparaître très rapidement) et c'est aussi en cela qu'ils sont particulièrement vivants. Agnès VARDA fait interagir les oeuvres et leurs auteurs et/ou modèles ce qui permet de mettre à jour des idées, des sensibilités, des cultures qui racontent une autre histoire des Etats-Unis et mettent en évidence son caractère fondamentalement métissé et multiculturel. En même temps le film de Agnès VARDA est très ancré dans son époque (la fin des années 70) avec ses coupes afro, son ambiance disco et le succès fulgurant du "roller skate" (patins à roulettes) qui avait inspiré à Jacques DEMY une idée de comédie musicale sur le thème de "Cendrillon" hélas retoqué par les studios, échaudés par l'échec de "Model shop" (1968) qui une décennie plus tôt montrait déjà Los Angeles sous un jour réaliste, comme le fera 30 ans plus tard Mathieu DEMY dans le film-hommage à ses parents "Americano" (2011).

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