Aimer, boire et chanter
Alain Resnais (2014)
Le 19eme et dernier film de Alain RESNAIS comme son avant-dernier, "Vous n'avez encore rien vu" (2012) est une œuvre testamentaire où le réalisateur se met en scène dans le rôle du deus ex machina déjà ou bientôt mort, invisible en tout cas et de par son statut, omniscient et omnipotent. Jouant à fond la carte de la mise en abyme, son film reprend pour la troisième fois une pièce de théâtre de Alan Ayckbourn (après "Smoking/No Smoking" (1993) et "Cœurs") (2006) et mélange allègrement les arts dans un dispositif-collage ludique assez réjouissant. On voit donc se succéder des scènes de plateau dont les décors ostentatoirement toc soulignent l'absolue théâtralité (les personnages répètent une pièce de théâtre mais ils sont eux-mêmes les jouets d'un plaisant marivaudage animé par le fameux "George Riley" qu'on ne verra jamais), les illustrations de Blutch qui représentent les différents lieux où se déroule l'histoire (ainsi que les gros plans-vignettes sur les visages des acteurs se détachant sur un fond quadrillé de ce même Blutch) et des plans cinématographiques aériens de routes de la campagne anglaise à différentes saisons qui ont pour but de les relier. On peut également ajouter la chanson-titre (paroles de Lucien Boyer, musique de Johann Strauss) La forme rejoint ainsi le fond dans les contrastes tels que les aime Alain RESNAIS: tragédie et comédie, théâtre et cinéma, joie et tristesse, fixité et mouvement, vie de couple et aventure, légèreté et gravité, jeu et réalité, vie et mort. La danse des couples en crise forme le noeud de l'intrigue avec la tentation d'aller voir ailleurs, chez ce George Riley qui par son irréalité même suscite les fantasmes des trois femmes qui ont vécu avec lui à un moment ou un autre de leur vie mais ont ensuite reconstruit ce passé à l'aune de leurs souvenirs plein de nostalgie (la mémoire est un thème fondamental chez Alain RESNAIS). C'est en cela que le film n'est pas qu'un vulgaire vaudeville en dépit des apparences. Quant aux six acteurs formant la troupe, on retrouve le mélange déjà expérimenté à plusieurs reprises entre la troupe historique du réalisateur (Sabine AZÉMA, André DUSSOLLIER, Caroline SILHOL), des recrues plus récentes (Michel VUILLERMOZ, Hippolyte GIRARDOT) et une nouvelle venue (Sandrine KIBERLAIN).
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