Gremlins
Joe Dante (1984)
"Gremlins", film culte ancré dans les années 80 (les décors de Kingston Falls ont été réutilisés pour Hill Valley dans "Retour vers le futur" (1985), les deux films ont d'ailleurs beaucoup de points communs) est le "Docteur Jekyll et M. Hyde" de l'Amérique. C'est en effet un film bicéphale qui porte la marque diamétralement opposée de ses deux auteurs: celle de Steven SPIELBERG le producteur (redoublée par le scénariste du film, Chris COLUMBUS) et celle de Joe DANTE le réalisateur. Steven SPIELBERG incarne les valeurs-refuge des USA c'est à dire un univers de conte et la célébration de la cellule familiale à travers les références à ses films cultes tels que "La Vie est belle" (1946) devenu le film de noël des américains. Comme dans le film de Frank CAPRA, l'histoire se déroule à noël dans une petite bourgade où tout le monde se connaît et a pour épicentre la chaleur d'un foyer familial où vient se rajouter une grosse peluche vivante à la voix d'ange, le mogwai Gizmo. Mais comme dans "La Vie est belle" (1946), les apparences sont trompeuses et la famille a du plomb dans l'aile. A la lutte du petit entrepreneur contre le Big Business vient se substituer la crise du début des années 80 avec dès le début une mère qui avec ses enfants mendie en vain un délai pour payer son loyer et un père inadapté qui bricole des objets inutiles et défectueux (une façon de railler l'American way of life) nanti d'un fils qui s'est substitué à lui pour faire vivre la famille mais dont la voiture ne marche pas sans parler de la fille dont il est amoureux pour qui noël rime avec taux de suicide maximal. Quant à la grosse peluche, force est de constater qu'entre des mains immatures, elle peut faire tourner le rêve en cauchemar. C'est ainsi que la vision spielbergienne ainsi nuancée peut harmonieusement se combiner avec celle du sale gosse Joe DANTE et sa bande "d'affreux, sales et méchants" (des animatroniques, technique typique de l'époque pour animer les créatures de SF) qui ont pour mission de pulvériser façon puzzle ^^ la vision par trop ripolinée de l'Amérique profonde heureuse, cette Amérique qui tremble devant une invasion étrangère fantasmée ("Gremlins" partage également avec "Retour vers le futur" (1985) une citation explicite du film "L'Invasion des profanateurs de sépultures" (1956) dont l'habillage SF transpose la psychose liée à la peur du communisme, peur qui était encore d'actualité dans les années 80, la guerre froide n'étant pas encore terminée). Il y a donc aussi une satire grinçante dans "Gremlins" qui culmine avec le visionnage par les monstres de "Blanche Neige et les 7 Nains" (1937) (au vu de ce qui leur arrive après, on est pas loin de la séquence d'introduction de "Brazil" (1985) qui date de la même époque) mais aussi dans la cultissime et si drôle scène du bar ou encore celle de la cuisine où le symbole du foyer se transforme en film d'horreur façon "Massacre à la tronçonneuse" (1974). Les Gremlins sont l'inverse d'E.T., pour eux "Téléphone, maison" c'est "caca". Au final, c'est le cosmopolitisme rompu au dialogue et à l'adaptation qui juge l'Amérique WASP vivant sous cloche et son jugement est sans appel: c'est elle qui doit sortir de son cocon et grandir pour affronter ses responsabilités.
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