La Comtesse aux pieds nus (The Barefoot Comtessa)
Joseph L. Mankiewicz (1954)
"La Comtesse aux pieds nus", l'un des plus grands films de Joseph L. MANKIEWICZ est une déconstruction du mythe de Cendrillon, tant sur la forme que sur le fond. La forme est en effet éclatée avec une structure narrative en flashbacks (huit au total) se déployant à partir d'une scène centrale récurrente qui de façon très significative n'est pas celle du mariage de Cendrillon mais de son enterrement. En effet sur le fond, "La Comtesse aux pieds nus" narre l'envers tragique des rêves de princesse avec une description particulièrement amère et désenchantée des milieux "de rêve" traversés par l'héroïne, Maria Vargas. Qu'elle navigue dans l'industrie hollywoodienne, l'aristocratie italienne ou la jet set sur la Riviera, c'est le même parfum de décadence très "fin de siècle" qui envahit l'écran avec une impressionnante galerie d'ectoplasmes. Dans ce contexte Maria Vargas (Ava GARDNER dans son plus grand rôle avec "La Nuit de l'iguane" (1964)) plantureuse danseuse espagnole pleine de fierté et d'énergie (inspirée par Rita HAYWORTH) symbolise l'espoir d'une régénération. Mais cet espoir est un tragique leurre dans lequel elle se laisse enfermer, elle qui pourtant ne jure que par sa liberté (symbolisée par sa haine des chaussures, la pantoufle de verre étant ici plutôt synonyme de carcan). En effet c'est elle au contraire qui se retrouve progressivement vidée de son énergie vitale par cette galerie de vampires dont les plus beaux spécimens sont le producteur Kirk Edwards (Warren STEVENS), le milliardaire Alberto Bravano (Marius GORING) et le comte Tornato-Favrini (Rossano BRAZZI). Dans l'une des scènes les plus significatives du film, le comte la regarde avidement danser au milieu des gitans, son désir de possession ne faisant alors aucun doute. Ce passage jette un nouvel éclairage sur la scène où tel le prince charmant, il vient la sauver des griffes d'Alberto Bravano pour partir avec elle (un précédé de réitération d'une même scène en variant les points de vue qui n'a pas attendu Quentin TARANTINO ou Gus VAN SANT pour être utilisé au cinéma). Peu de temps après Maria Vargas se fait ériger une statue à son effigie. Dans la scène d'enterrement qui constitue le point nodal du film, c'est cette statue qui a remplacé l'être de chair et de sang: une simple image, comme celles des trois films que Maria Vargas aura tourné. La boucle est ainsi bouclée car Hollywood vend du rêve. Comme le dit le grand ami désabusé de Maria Varga, le scénariste et réalisateur Harry Dawes (Humphrey BOGART dont la présence magnétise le film autant que celle de Ava GARDNER) " c'était l'homme de tes rêves et toi la femme des siens. Vous auriez pu vous rendre heureux. La vie fout le scénario en l'air." Il n'y a en effet pas de place pour la guerre dans les contes de fées.
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