L'Impasse (Carlito's Way)
Brian De Palma (1993)
Sous-estimé à sa sortie et même bien après, "L'Impasse" est pourtant un des meilleurs films de Brian De PALMA et un des plus grands rôles de Al PACINO. On est beaucoup plus proche ici de "Hamlet" ou du "Parrain, 3e partie" (1990) que du grandiloquent (et parfois limite grand-guignol) "Scarface" (1983). Le titre original "Carlito's way" est beaucoup plus évocateur que le titre français même si ce dernier indique que le chemin suivi par Carlito est sans issue. En cela il rejoint le principe du film (emprunté aux films noirs de Billy WILDER tels que "Assurance sur la mort" (1944) et "Boulevard du crépuscule") (1950) qui est de révéler d'emblée le dénouement dès les premières images du générique, plaçant ainsi le film sous le sceau de la tragédie et de la fatalité. Comme Michael Corleone dans la troisième partie du Parrain, Carlito Brigante est un magnifique personnage déchiré entre son passé criminel qui le poursuit, un "code d'honneur" communautariste qui l'emprisonne et l'entraîne à sa perte et des aspirations à la rédemption, à la beauté et à la pureté qui s'expriment à travers l'opéra dans le Parrain (si le fils de Michael devient chanteur, c'est parce qu'il choisit la meilleure part de son père et non parce qu'il le renie), à travers la danse dans "l'Impasse", celle-ci s'incarnant dans le personnage onirique de Gail (Penelope Ann MILLER)*. Onirique car les indices ne manquent pas dans le film pour souligner à quel point elle appartient au domaine du rêve et non du réel (un peu et même beaucoup comme les Vénus de Botticelli tant fantasmées par les héros des films de Terry GILLIAM). Elle apparaît à Carlito lorsqu'il est en mode contemplatif à travers une fenêtre, sur une scène de spectacle, sur un panneau publicitaire promouvant des vacances paradisiaques aux Bahamas. Elle est toujours amoureuse de lui, toujours disponible pour lui (alors qu'il a passé cinq ans en taule et devait initialement en passer trente) et échappe miraculeusement à la tuerie finale comme si elle appartenait à un autre monde. Carlito oscille ainsi entre le paradis inaccessible de Gail et l'enfer du monde de la pègre dans l'engrenage duquel il retombe malgré lui, entraîné par son "contrat de loyauté" avec son mauvais génie, l'avocat faible, corrompu et drogué David Kleinfeld (étonnante et inoubliable composition de Sean PENN en ripoux frisotté). Le cinéma est souvent défini comme l'art de filmer des corps dans l'espace et de ce point de vue, les séquences de tuerie de "L'Impasse" sont des modèles de précision et de virtuosité. Carlito devient le double du cinéaste et possède un véritable compas dans l'œil qui lui permet d'embrasser tous les recoins d'un lieu et d'en tirer les meilleurs partis de mise en scène. C'est ainsi qu'une boule de billard, un reflet dans des lunettes ou les escalators de la gare de Grand Central deviennent des éléments clés d'un jeu de dominos géant à l'effet redoutable.
* Jacques Audiard s'est sans doute inspiré de ces films pour "De battre mon coeur s'est arrêté" (2005) qui reprend le principe du personnage déchiré entre monde de la pègre et monde de l'art.
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