L'Homme qui n'a pas d'étoile (Man without a Star)
King Vidor (1955)
Je préfère 1000 fois "L'homme qui n'a pas d'étoile" à "Duel au soleil" (1946), le précédent western réalisé par King VIDOR. En effet si "Duel au soleil" (1946) porte la marque (franchement détestable) du producteur David O. SELZNICK, on sent l'influence de Kirk DOUGLAS sur "L'homme qui n'a pas d'étoile". On discute encore pour savoir quel rôle exact il a pu jouer dans le film (il était connu pour s'immiscer dans leur réalisation ce qui n'allait pas sans provoquer des frictions). King VIDOR n'étant pas exactement un socialiste progressiste, l'ébauche de critique du capitalisme sauvage d'une brûlante actualité est certainement due à l'acteur dont la filmographie est parsemée de films très critiques vis à vis de la société de consommation, du spectacle ou vis à vis des inégalités sociales. Même si "L'homme qui n'a pas d'étoile" s'inscrit dans un schéma de western ultra-classique (initiation d'un jeunot par un aîné aguerri, esprit pionnier de conquête, guerre entre éleveurs de bétail pour l'appropriation de l'eau et de la terre) il préfigure l'époque du western crépusculaire. Le héros, Dempsey Rae appartient à un type d'hommes condamné à disparaître, celui du lonesome cowboy épris de liberté qui voit la civilisation inexorablement le rattraper comme Tom Doniphon dans "L Homme qui tua Liberty Valance" (1962). Cependant cet individualisme/anarchisme libertaire se combine à une soif de justice qui lui fait prendre le parti des petits fermiers face aux gros entrepreneurs terriens partisans de l'open range même s'il combat de toutes ses forces le symbole de propriété privée que représente la clôture de barbelés. En effet la prédation capitaliste libérale est montrée comme plus dévastatrice socialement et écologiquement que la petite propriété privée (ce qui est exact). Il est dit noir sur blanc dans le film qu'un excès de têtes de bétail dans un même lieu va raser la prairie. Mais Reed Bowman (Jeanne CRAIN) la propriétaire du Triangle cynique et sans scrupules venue de l'est s'en fiche, seul le profit à court terme l'intéresse et après, elle recommencera ailleurs, laissant derrière elle une terre brûlée et stérile. Quant à ceux qui se sont installés avant elle et veulent défendre leurs biens, elle paie des régisseurs-amants-mercenaires pour les éliminer. La seule alternative féminine à cette viriliste en jupons est Idonee, la prostituée au grand cœur, une figure traditionnelle du western. Claire TREVOR (une habituée du rôle puisqu'elle avait à peu près le même dans "La Chevauchée fantastique" (1939)) lui donne toutefois beaucoup de panache et constitue avec Dempsey le second personnage remarquable du film bien que pris tout comme lui dans une impasse existentielle.
Malgré ce sous-texte grave, le film se présente sous la forme d'un divertissement
léger avec son tube irrésistible de Frankie Laine et se caractérise également par d'étonnantes ruptures de ton. Le festival Kirk DOUGLAS n'y est pas pour rien, celui-ci cabotinant à mort dans certains passages du film. Mais sa prestation est tellement virtuose et dynamique qu'on lui pardonne volontiers de s'être visiblement fait un peu trop plaisir sur le plateau. La scène où Jeff (William CAMPBELL) apparaît déguisé en cowboy d'opérette fait penser à celle de "Retour vers le futur III" (1990) où Marty se retrouve dans une situation identique.
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