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Les Glaneurs et la glaneuse

Publié le par Rosalie210

Agnès Varda (2000)

Les Glaneurs et la glaneuse

C'est avec "Les Glaneurs et la Glaneuse" qu'Agnès Varda a révélé son amour des patates au public. Et notamment des patates en forme de cœur, devenues le symbole de son film. En effet ce qu'elle nous présente comme une qualité poétique et affective est jugée comme une difformité par l'économie de marché qui régit nos sociétés. La patate cœur finit donc comme la pomme trop petite qui a pris un coup de soleil, les denrées comestibles périmées ou les objets frappés d'obsolescence programmée: jetée au rebut. Un gaspillage gigantesque aussi révoltant qu'absurde qui vaut aussi pour les hommes. Armée de son regard d'artiste engagée socialement et écologiquement ainsi que d'une caméra numérique qui lui permet un maximum de proximité avec les gens, Agnès Varda part fouiller les poubelles et les marges pour sortir de l'invisibilité les "grappilleurs", "récupérateurs" et autre "trouvailleurs" et les interroger sur leurs motivations. Certains glanent dans les champs ou sur les marchés pour survivre, d'autres transforment leurs trouvailles en œuvres d'art, d'autres encore récupèrent par sens éthique. Fragment par fragment, Agnès Varda compose un portrait cohérent d'une autre France que celle de la "start-up nation", une contre-société de l'ombre qui donne une seconde vie aux montagnes de déchets générés par le modèle dominant. De plus, elle donne sens à leurs valeurs et à leurs pratiques, les inscrit dans une histoire remontant au moyen-âge, une esthétique picturale (des glaneuses de Millet aux œuvres fabriquées avec des matériaux de récupération), une sociologie diversifiée (jeunes et moins jeunes SDF, gitans, ferrailleurs, chefs-cuisiniers, salariés, ex-étudiant en biologie qui donne gratuitement des cours d'alphabétisation aux migrants du foyer Sonacotra qui l'héberge) et même un cadre juridique avec un avocat qui récite les articles du code civil encadrant la pratique du glanage. Par delà ce portrait de la France underground, elle dresse son propre autoportrait d'artiste confrontée au vieillissement et à la perspective de la mort: "Quand on est dans son vieillissement, on va vers son propre déchet."

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