Le Fantôme de l'Opéra (The Phantom of the Opera)
Rupert Julian (1925)
Le film d'épouvante américain est né de la littérature française, reflétant l'histoire du cinéma lui-même. Après "Notre-Dame de Paris" (1923) adapté du classique de Victor Hugo qui en dépit de son personnage difforme n'est pas à proprement parler un film d'épouvante, les studios Universal ont eu l'idée de transposer "Le Fantôme de l'Opéra" de Gaston Leroux qui est le vrai point de départ d'un genre incarné aux USA par des figures telles que Dracula ou Frankenstein. Et après Quasimodo, Lon CHANEY incarne à nouveau un personnage monstrueux avec génie. La découverte de son visage défiguré qui se fait à la moitié du film fait partie des grands moments du cinéma d'horreur.
En dépit de sa réalisation morcelée (outre l'officiel, Rupert JULIAN, il y a eu pour certains segments Edward SEDGWICK, Ernst LAEMMLE et Lon CHANEY lui-même), le résultat est remarquable. Visuellement tout d'abord, le film est splendide. Il bénéficie comme son prédécesseur d'un décor pharaonique reconstituant les moindres recoins d'un opéra Garnier qui avec ses loges, ses souterrains et ses salles secrètes fascine tout autant qu'il inquiète. On voit également brièvement la façade de la cathédrale Notre-Dame issue du film précédent. La scène du bal masqué retient tout particulièrement l'attention parce qu'elle a été tournée en Technicolor bichrome et que la cape rouge du fantôme doté d'un masque à tête de mort tranche sur le noir et blanc, symbolisant la passion amoureuse et la tragédie funèbre (un procédé repris par Steven SPIELBERG dans "La Liste de Schindler") (1993). Enfin les filtres de couleur, les lumières expressionnistes et la composition des cadres renforcent l'ambiance fantastique dans laquelle baigne le film.
Ensuite sur le plan narratif, "Le Fantôme de l'Opéra", fidèle à l'œuvre d'origine nous raconte les conséquences funestes d'un pacte faustien signé entre Christine, une jeune cantatrice en devenir et le fantôme qui est amoureux d'elle. La cantatrice vedette, Carlotta (une "fille de") est en effet frappée d'une malédiction orchestrée par le fantôme pour permettre à Christine d'occuper le devant de la scène. Par une ingénieuse mise en abyme, celle-ci interprète Marguerite dans le "Faust" de Gounod sauf que Faust c'est en réalité elle. Mais lorsque le fantôme réclame ce qu'il pense être son dû, l'amour de la jeune femme, celle-ci le repousse. Il faut dire que tenter de posséder quelqu'un n'est pas la meilleure façon de s'en faire aimer. Or Erik enlève Christine, la séquestre et lui donne des ordres (ne pas lui ôter son masque, ne plus revoir son amant) auxquels elle s'empresse de désobéir. On comprend que par delà son indicible laideur, sa tragédie intime est son incapacité foncière à entrer en contact avec autrui. Il ne sait qu'imposer et opprimer. Sa demeure ressemble à un tombeau entouré de chambres de tortures. Dans ces conditions, son désir de beauté (magnifié par son amour de la musique et du visage de Christine) ne peut que se fracasser contre la violence de la réalité.
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