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La Lettre écarlate (The Scarlet Letter)

Publié le par Rosalie210

Victor Sjöström (1926)

La Lettre écarlate (The Scarlet Letter)

Deux ans avant "Le Vent" (1928), Victor SJÖSTRÖM réalisait un autre chef d'œuvre du cinéma muet avec le tandem Lillian GISH et Lars HANSON. L'histoire est tirée d'un roman de Nathaniel Hawthorne publié en 1850 et a un caractère fondateur à plus d'un titre. C'est l'un des premiers romans de la littérature américaine et il retourne deux siècles en arrière sur les conditions dans lesquelles ont été fondées les 13 colonies. Non sur des valeurs humanistes mais sur le fanatisme religieux et ses soubassements patriarcaux. Les premiers colons étaient en effet des puritains et parmi eux, il y avait l'ancêtre de Nathaniel Hawthorne comme il s'en explique dans la préface:
« Plus de deux siècles se sont maintenant écoulés depuis que le premier émigrant britannique portant mon nom arriva sur ces côtes … Sa figure, investie par la tradition familiale d’une sombre grandeur, faisait partie de mon imaginaire d’enfant aussi loin que je m’en souvienne. Elle me hante encore … Arrivé avec sa bible et son épée, il fut soldat, législateur et juge ; il possédait tous les traits de caractère d’un puritain, les meilleurs comme les pires. Il fut également un persécuteur sans merci comme peuvent en témoigner les Quakers qui se souviennent encore de sa dureté envers une des femmes de leur secte … Le fils de cet ancêtre qui avait hérité de ses traits de caractère fut tellement impliqué dans la persécution et le martyre des sorcières [de Salem] qu’on peut dire que leur sang a laissé sur lui une tache indélébile … »

"La lettre écarlate" est donc avant tout un pamphlet virulent contre le puritanisme de l'époque coloniale, son intolérance et son hypocrisie. Et c'est aussi un grand plaidoyer féministe toujours d'actualité. Dans la première image du film Victor SJÖSTRÖM oppose un arbre fleuri symbole de vie et de fertilité au premier plan à une sinistre prison en arrière plan qui vaut pour la ville de Boston tout entière et ses pères puritains geôliers. Il dresse un tableau de ce puritanisme qui n'a rien à envier à celui de l'islamisme radical tel qu'on a pu l'observer par exemple en Afghanistan au temps des talibans. Tous les extrémismes religieux se rejoignent dans leur haine (et leur peur) de la nature humaine. Jugez vous-mêmes: la jeune Hester Pryne (Lillian GISH) se retrouve clouée au pilori en place publique parce qu'elle a couru pour rattraper son oiseau qui s'était envolé hors de sa cage. De plus, l'oiseau est accusé de détourner les fidèles de Dieu parce qu'il chantait et en courant, la coiffe d'Esther a glissé, révélant sa chevelure tentatrice. Eliminons donc les femmes et les oiseaux puisqu'on ne peut les enfermer dans une cage! Très symbolique, cette scène d'introduction oppose une société répressive qui stigmatise et châtie le moindre débordement (y compris anodin tel qu'un éternuement en plein office) à la spontanéité de la jeune femme coupable de ne pas réfréner ses instincts naturels. Pourtant tout avait été fait pour la mater dès le plus jeune âge, son père ayant veillé à la marier de force avec un homme plus âgé. Mais comme ce dernier semble s'être évanoui dans la nature, elle a repris sa liberté. Car contrairement au pasteur (Lars HANSON) qui fuit, dissimule et se mortifie, elle assume fièrement cet amour qualifié d'adultère et donc frappé du sceau de l'infamie. Car si elle a les hommes contre elle, elle est en phase avec ses désirs profonds et la nature est de son côté. C'est dans la forêt lors de scènes renversantes de beauté que cet amour s'épanouit. C'est dans cette même forêt qu'elle affirme sa révolte, envoyant la marque infamante valser au loin et libérant encore une fois ses cheveux alors que le pasteur préfère se morfondre plutôt que de s'évader avec elle. On comprend en quoi Hawthorne a inspiré D.H. Lawrence avec ces femmes mal mariées qui secouent le joug du patriarcat en se connectant à la nature et en se réappropriant leur corps.

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