L'une chante l'autre pas
Agnès Varda (1977)
Longtemps considéré comme mineur dans la filmographie de Agnès VARDA, kitsch, daté, naïf etc. (par qui? La critique n'est jamais neutre), "L'une chante, l'autre pas", son manifeste féministe "en chanté" a été récemment réévalué en phase avec la panthéonisation de Simone Veil et les multiples affaires de harcèlement sexuel qui ont prouvé si besoin était qu'il restait du chemin à parcourir pour se défaire des multiples formes revêtues par la domination masculine. Il est intéressant de confronter le début et la fin du film. Celui-ci s'ouvre sur une série de clichés de femmes en noir et blanc dont ceux de Suzanne (Thérèse LIOTARD) la compagne de Jérôme, le photographe (Robert DADIÈS). Ces clichés sont semblables à une collection de papillons, comme autant de tentatives pour capturer le mystère féminin. La domination masculine s'exerce avant tout dans la représentation de la femme, asservie aux fantasmes et aux besoins masculins. Suzanne est à la fois modèle dépendante du regard de Jérôme, maîtresse se faisant engrosser à la chaîne sans son consentement et mère au foyer dépendante financièrement. Elle n'a pas de vie ni d'identité propre. Arrive Pomme (une allusion à Eve?) petit concentré d'impertinence qui commence par répondre "NON" à Jérôme lorsqu'il surgit dans le magasin en lui disant "Vous m'attendiez?" "Maman Beauvoir" est passée par là avec son démontage en règle du "mythe du prince charmant". Tout comme "papa Engels" pour qui dans le couple, l'épouse occupe la place du prolétaire. Et Pomme (Valérie MAIRESSE) d'inciter Suzanne à se prendre en main et à cesser de subir lorsqu'elle lui donne de l'argent pour aller se faire avorter en Suisse. A la fin du film, Agnès VARDA qui est autant photographe que cinéaste filme un beau tableau impressionniste vivant et coloré où s'effectue un passage de témoin générationnel entre les mères et leurs filles (celle de Suzanne étant jouée par la propre fille de Agnès VARDA, Rosalie). Entre les deux, ce sont tous les combats menés par les deux femmes aussi différentes qu'unies dans leur quête d'indépendance et d'accomplissement que relate Agnès VARDA, parfois à la limite du documentaire lorsqu'elles se retrouvent au procès de Bobigny en 1972 et que l'avocate Gisèle Halimi intervient dans son propre rôle. Leur itinéraire est ponctué par les chansons peu orthodoxes de Pomme aux paroles-slogans écrites par Agnès VARDA aussi drôles que percutantes: "ni cocotte, ni popote, ni falote" ou variante "ni fétiche, ni boniche, ni potiche". 40 ans avant le "Ni putes, ni soumises" de Fadela Amara, Pomme réplique à son père qui ne voit pour elle en dehors des études que le mariage ou la prostitution qu'au fond c'est la même chose. Et effectivement en 1962 quand commence le film, le code Napoléon encore largement appliqué dans le code civil place la femme mariée sous la tutelle de son mari. Et quand elle a des enfants hors-mariage, elle est mise au ban de la société (les parents de Suzanne sont en froid avec leur fille et traitent leurs petits-enfants qu'ils rejettent de bâtards). Ces discriminations ont disparu mais quand on voit à quel point le talent de Valérie MAIRESSE a été gâché par l'étiquette que lui a collé un cinéma français dans lequel la femme reste plus objet que sujet, on ne peut que constater que l'on est encore loin du compte aujourd'hui.
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