Les Quatre filles du Dr March (Little Women)
Gillian Armstrong (1994)
Depuis les origines du cinéma, on compte au moins une version cinématographique ou télévisuelle des "Quatre filles du docteur March" par génération. Celle de Gillian ARMSTRONG qui date des années 90 était la plus récente du moins au cinéma jusqu'à la nouvelle adaptation de Greta GERWIG attendue pour janvier 2020. On peut souligner qu'il s'agit dans les deux cas de versions réalisées par des femmes ce qui est la moindre des choses avec un roman écrit par une femme sur des femmes (Le titre en VO est d'ailleurs "Little Women"). S'il a fallu attendre si longtemps, c'est que la transposition s'est effectuée dans une forme d'art longtemps monopolisée par les hommes. Comme le dit la regrettée pionnière Agnès VARDA dans "Visages, villages (2017)", "Une femme pour 78 hommes [dans la réalisation au cinéma], c'est à peu près la proportion, oui". La "grande" littérature a elle aussi été longtemps accaparée par les hommes contrairement à la littérature dite "de genre/de gare" considérée comme moins prestigieuse qui a laissé plus de place aux femmes que ce soit par exemple le roman champêtre (George Sand), le roman policier (Agatha Christie, Patricia Highsmith, Elizabeth George, Fred Vargas, Mary Higgins Clark etc.), le romantisme gothique/horrifique (Daphné du Maurier) ou encore la littérature jeunesse (Enid Blyton, la Comtesse de Ségur, JK Rowling, Frances Hodgson Burnett etc.) genre dans lequel s'est également illustré Louisa May Alcott. La version de Gillian ARMSTRONG atténue au maximum les aspects les plus obsolètes du roman (la morale judéo-chrétienne béni oui oui) pour mettre le plus possible en valeur ce qu'il a de définitivement et d'inaltérablement moderne: la quête d'identité et de reconnaissance de jeunes filles qui veulent vivre, penser et se définir par elles-mêmes. Jo est bien évidemment la figure de proue de ce féminisme combatif avant la lettre. Double de l'auteur, elle se heurte à un monde de l'édition masculin qui veut la cantonner aux magazines féminins ou aux sous-genres pré cités. Ce rôle en or est bien servi par la fougue de Winona RYDER et face à elle, les personnages masculins sont particulièrement bien écrits. Laurie (Christian BALE qui l'interprète comme un jeune blanc-bec) est englué dans les conventions propres à son milieu et débite des platitudes sentimentales ce qui donne au refus de Jo tout son relief. Ce qu'elle refuse, c'est justement une vie dictée par les conventions. A l'inverse le professeur Bhaer joué de façon remarquable par Gabriel BYRNE est pétri d'humanité et il fait tout pour que Jo se réalise, quitte à s'effacer du paysage. C'est d'ailleurs cette attitude humble qui touche le cœur de Jo. Il faut dire qu'à l'inverse de Laurie, Bhaer n'est pas un héritier, il est même sans le sou ce qui le complexe. C'est Jo qui est l'héritière d'une maison qu'elle veut transformer en école et qui lui propose un travail à ses côtés en même temps que le mariage. Une approche très moderne! Les 3 autres personnages féminins sont en revanche moins bien mis en valeur. Meg l'aînée (Trini ALVARADO) est des quatre filles la plus formatée socialement et donc la moins intéressante. C'est la seule qui n'a d'ailleurs pas de violon d'Ingres. Il est donc logique qu'elle soit un peu sacrifiée, comme dans les autres versions. Claire DANES dans le rôle de Beth joue avec beaucoup de sensibilité mais son physique de belle plante s'accorde mal avec l'aspect souffreteux du personnage qui disparaît faute de trouver sa place dans le monde. Enfin Amy jeune est formidablement interprétée par Kirsten DUNST mais comme celle-ci n'avait que 12 ans au moment du tournage, elle est remplacée pour la deuxième partie de l'histoire par Samantha MATHIS qui n'a pas le même charisme.
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