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Le Château du Dragon (Dragonwyck)

Publié le par Rosalie210

Joseph L. Mankiewicz (1946)

Le Château du Dragon (Dragonwyck)

Il y a du "Rebecca" (1939), il y a également du "Laura" (1944) dans "Dragonwyck" (d'autant que l'héroïne s'appelle Miranda et qu'elle est jouée par Gene TIERNEY) mais il y a surtout du Joseph L. MANKIEWICZ dont c'est le premier film. A partir d'une commande dont il ne voulait pas en raison de son caractère de "roman de gare" il réussit à faire une œuvre personnelle sous la houlette de Ernst LUBITSCH qui en raison de problèmes de santé ne put réaliser lui-même le film et se contenta de le produire. Les raisons qui poussèrent Ernst LUBITSCH vers une œuvre a priori aux antipodes de son style sont aussi mystérieuses que celles qui permirent à Joseph L. MANKIEWICZ d'en faire une pièce maîtresse de sa filmographie. Bien qu'il y ait des éléments gothiques dans le film, rien ne se déroule selon le canevas habituel du genre. Le manoir pas plus que le portrait de la défunte ne sont des entités maléfiques, ce sont juste les oripeaux archaïques d'un monde aristocratique importé d'Europe condamnés à disparaître dans la société américaine telle qu'elle se construit au XIX°. Comme dans son dernier film "Le Limier" (1972), "Dragonwyck" est une satire sociale où la guerre des classes fait rage sur fond de rivalité amoureuse dans un lieu symbolisant l'ancien monde. D'un côté les paysans ne supportent plus leur subordination féodale à un maître dans un pays fondé sur des valeurs (celles des Lumières) qui sont en contradiction flagrante avec la tyrannie qui leur est imposée. De l'autre, Nicholas Van Ryn (Vincent PRICE qui n'avait pas encore entamé sa longue carrière dans l'épouvante couronnée par le "Thriller" de Michael JACKSON) est un homme psychorigide, corseté (au sens figuré et au sens propre, Vincent PRICE en portait réellement un sous ses vêtements) arc-bouté sur ses privilèges, un homme aliéné par son hérédité. La réduction inéluctable du territoire où il exerce son emprise le fait peu à peu sombrer dans la drogue et la folie meurtrière dirigée contre ses épouses qui ne parviennent pas à lui donner l'héritier qui lui permettrait de perpétuer son système. Van Ryn qui cultive les plantes toxiques est en effet aussi vénéneux que la Violet Venable de "Soudain l'été dernier" (1959). La gouvernante des Van Ryn dont le regard impitoyable sur le monde qu'elle sert rejoint la révolte paysanne qui gronde nous informe sur le triste sort des femmes qui vivent ou ont vécu dans le manoir. L'arrière-grand-mère de la famille était tellement opprimée qu'elle s'est suicidée. Katrine (Connie MARSHALL) la fille du premier mariage de Nicholas grandit sans amour. Johanna (Vivienne OSBORNE) la mère de Katrine compense sa frustration d'être délaissée par la boulimie. Miranda, la jeune gouvernante naïve et ignorante apparaît comme une proie d'autant plus idéale pour Nicholas qu'elle est d'origine modeste. Joseph L. MANKIEWICZ fait ainsi coup double. Sa satire sociale se double d'une critique de la condition des femmes. Leur imagination romantique débridée tant raillée par les hommes ("ce sont des sentimentales qui rêvent du grand amour") n'est que le contrecoup de leur enfermement domestique sous l'autorité du patriarcat. Ainsi l'itinéraire de Miranda se résume au passage d'une prison à une autre, certes plus grande et plus luxueuse mais plus aliénante encore. Le seul motif d'espoir est lié au personnage du docteur Jeff Turner (Glenn LANGAN) qui se pose ouvertement en rival de Nicholas, auprès des paysans comme auprès de Miranda. En effet la seule grande scène de plein air du film est celle où Miranda fait sa connaissance et par la suite il joue un rôle essentiel dans son sauvetage des griffes de son bourreau. Il incarne une perspective d'avenir autre que celle d'une éternelle claustration. Et ce n'est certainement pas par hasard si l'autre personnage déterminant dans le sauvetage de Miranda est Peggy sa petite servante estropiée (Jessica TANDY). Combinant plusieurs formes de discrimination (classe sociale, sexe et handicap), elle subit les propos haineux de Nicholas qui n'ont rien à envier à l'eugénisme nazi (« Repoussante petite infirme, pourquoi vous a-t-on permis de vivre et non à mon fils ?"). 

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