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Fenêtre sur cour (Rear Window)

Publié le par Rosalie210

Alfred Hitchcock (1954)

Fenêtre sur cour (Rear Window)

"Une femme qui est au-dessus de moi, ça me coupe tout" ^^. Cette citation que j'ai lue un jour dans un bouquin de psycho me fait toujours penser à L.B. Jeffries (James STEWART) cloué dans son fauteuil roulant, visuellement autant que psychologiquement dominé par Lisa Fremont (Grace KELLY). Heureusement que pour compenser cet état d'impuissance, il y a la pulsion scopique optimisée par les jumelles et l'objectif qui sont autant de phallus portatifs se substituant à la jambe plâtrée de L.B. Jeffries. "Fenêtre sur cour" est sans doute à ce jour le plus grand métafilm de l'histoire du cinéma en ce qu'il ne se contente pas d'une réflexion désincarnée sur les mécanismes du septième art (et ses dérivés télévisuels, les fenêtres étant autant de petites lucarnes par où épier la vie des autres), il lie ces mécanismes à la sexualité dans toutes ses déclinaisons possibles. Comme le dit Lisa en fermant les rideaux "d'autres attractions vont suivre". "Fenêtre sur cour" est donc autant un traité sur le cinéma que sur la sexualité et les relations amoureuses. Jeffries et Lisa forment un couple sulfureux pour l'époque, non seulement parce que les stéréotypes de genre y sont inversés mais également parce qu'il s'agit d'un couple libre comme le montrent tous les coups d'œil-caméra ultra significatifs du détective Doyle (Wendell COREY) sur la toilette de nuit apportée par Lisa chez Jeffries. Un passage qui en dit long sur le bouillonnement hormonal de Lisa caché derrière son apparence de mannequin sur papier glacé (Grace KELLY atteignant la perfection de la blonde hitchcockienne). C'est l'angoisse typiquement masculine de la dévoration (la photo de l'accident de Jeffries est particulièrement évocatrice avec le pneu détaché de la voiture de formule 1 en train de lui foncer dessus) qui ratatine littéralement Jeffries sur son siège, celui-ci essayant pitoyablement de donner le change avec ses soi-disant exploits d'aventurier photographe qu'une femme ne pourrait pas supporter. Trouillard du sentiment et de l'engagement, il l'est aussi vis à vis de la sexualité qu'il transfère donc dans un voyeurisme exacerbé. A défaut de s'épanouir dans sa vie personnelle, il observe celle des autres, des jeunes mariés accaparés par la passion physique pas encore émoussée aux vieux couples sans enfant en passant par la nymphette croqueuse d'hommes et "Mademoiselle Cœur solitaire", une vieille fille mélancolique. Chacun est une histoire à lui tout seul, d'où la fragmentation de l'écran par les fenêtres qui est aussi signifiante que les champs-contrechamps. Le spectateur s'identifie à Jeffries en voyant par ses yeux tous ces petits fragments d'histoire et en se faisant ses propres films à partir d'eux (par exemple Sébastien Ortiz a écrit un livre entier sur "Mademoiselle Cœur Solitaire" en 2005 extrapolant à partir des 7 minutes de film qui lui sont consacrés). Evidemment la variante meurtrière de l'amour ne pouvait échapper à Alfred HITCHCOCK et c'est l'intrigue autour du représentant de commerce qui prend le dessus sur toutes les autres, transformant le film en polar dont Lisa est l'héroïne et Jeffries le metteur en scène. Un troisième personnage a une importance capitale dans l'histoire, il s'agit de l'infirmière Stella (Thelma RITTER) qui nous livre ses réflexions sur le voyeurisme mis en abyme par le film: "L'intrusion dans la vie privée est répréhensible et il n'y a pas de fenêtres dans les pénitenciers. Autrefois on brûlait les yeux avec un fer rougi à blanc. Ces bikinis affriolants en vaudraient-ils la peine? (…) Nous sommes une race de voyeurs. Les gens feraient mieux de s'occuper de ce qui se passe chez eux." 

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