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A travers l'orage (Way Down East)

Publié le par Rosalie210

D.W. Griffith (1920)

A travers l'orage (Way Down East)

On peut ne pas aimer D.W. GRIFFITH, trouver ses films soporifiques, trop longs, passéistes, mélodramatiques ou mal fagotés mais ceux qui affirment qu'il doit tout à Lillian GISH et à quelques beaux extérieurs sont des quiches en cinéma ou des snobs. D'abord parce que D.W. GRIFFITH s'il a moins inventé que perfectionné la grammaire cinématographique est l'un de ceux qui ont le plus contribué à construire cet art. Ensuite parce que c'est un formidable conteur dans la lignée des feuilletonnistes du XIX°. Dans "A travers l'orage" comme dans ses autres films, il entremêle les fils de son intrigue de façon à toujours maintenir en haleine le public. Enfin parce qu'il sait mettre en scène des climax d'une grande intensité qui frappent l'imagination du spectateur. Dans "A travers l'orage", le morceau de bravoure de la débâcle finale est entrée dans les annales pour son caractère spectaculaire et kamikaze (qui aujourd'hui risquerait sa vie ou du moins son intégrité physique pour faire du cinéma? A l'époque l'engagement de l'équipe était total et on a mal pour Lillian GISH dont les cheveux et la main trempent réellement dans l'eau glacée) ainsi que l'utilisation particulièrement efficace du montage alterné.

D'autre part si la trame de base de "A travers l'orage" est celle d'un mélodrame, D.W. GRIFFITH transcende ce matériau pour en faire quelque chose de beaucoup plus nuancé et moderne. Il n'oppose la ville et la campagne que pour mieux les englober toutes deux dans sa critique des mœurs et de la société américaine. Si la ville est montrée comme un lieu de perdition, la campagne est remplie de puritains psychorigides, d'hypocrites mielleux et de commères médisantes et jalouses. D'ailleurs le personnage vil de l'histoire, Lennox Sanderson (Lowell SHERMAN) a un pied (à terre) dans chaque milieu, étant accueilli à bras ouverts dans l'un comme dans l'autre. A l'inverse c'est bien parce que le personnage d'Anna Moore (Lillian GISH extraordinaire et bien servie par la caméra de D.W. GRIFFITH) ne trouve sa place nulle part qu'elle se réfugie dans la nature sauvage qui menace de l'engloutir. Du moins jusqu'à ce que David (Richard BARTHELMESS) en loup solitaire ne se dresse contre cet ordre fatal des choses. Car la critique sous-jacente du film va même au-delà de la stigmatisation des filles-mère dans la lignée des "Misérables" de Victor Hugo jusqu'aux films de Jacques Demy un siècle plus tard. Il s'attaque aux racines patriarcales des inégalités hommes-femmes. Le personnage d'Anna ne reste pas cantonné à celui de la "pauvre fille perdue", il évolue et s'affirme au point d'être capable de tenir tête à son abuseur qui veut l'effacer du paysage. Certaines répliques semblent même avoir été écrites l'année dernière, lors de la polémique "Metoo" et "Balancetonporc": "Supposons qu'ils découvrent votre passé, vous n'auriez plus qu'à partir". "Et vous, supposons qu'ils découvrent votre passé?", "C'est différent pour un homme, tout le monde trouvera normal qu'il ait des aventures amoureuses". En une phrase, D.W. GRIFFITH résume l'ignominie d'une société qui en soutenant les plus forts contre les plus faibles camoufle sa barbarie derrière une façade respectable. C'est pourquoi quand le père de famille ultra-puritain (Burr McINTOSH) décide de chasser Anna de la maison sans chercher à connaître le fond de l'histoire, elle dénonce son abuseur devant toute la communauté réunie sans oublier d'égratigner la "sainte famille" au passage "Pourquoi ne cherchez-vous pas à découvrir toute la vérité? Cet homme, un honorable invité à votre table, pourquoi ne cherchez-vous pas à connaître sa véritable vie?" Peu importe au final que D.W. GRIFFITH glorifie la monogamie et ne condamne la stigmatisation sociale que vis à vis des jeunes filles chastes victimes d'abus (et non vis à vis des femmes libérées, D.W. GRIFFITH n'est pas Frank BORZAGE et son sublime "La Femme au corbeau" (1928) en dépit du déchaînement naturel commun aux deux films), il y a aujourd'hui suffisamment d'abus sexuels liés aux rapports de domination devant lesquels la société se montre sourde et aveugle pour rendre son propos pertinent encore de nos jours.

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