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Adieu Philippine

Publié le par Rosalie210

Jacques Rozier (1962)

Adieu Philippine

Les films de la Nouvelle Vague sont le reflet d'une époque où la jeunesse éprouve un besoin profond de liberté et d'émancipation des modèles parentaux tout en restant enfermée dans le cadre étouffant construit par les générations précédentes (du moins jusqu'à l'explosion de 1968). Ce sont des films en mouvement, où l'on marche, où l'on court, où on danse, où l'on vit mais où on finit toujours par se heurter au mur qui se cache invisible derrière l'horizon de ces symboles d'évasion que sont la plage et le port (quand on ne meurt pas en chemin dans un accident de voiture). En effet de l'autre côté, c'est la mort avec la guerre d'Algérie qui constitue la toile de fond de nombre de films de cette cinématographie: "Le Petit soldat" (1960) de Jean-Luc GODARD, "Muriel ou le temps d un retour (1962)" de Alain RESNAIS, "Cléo de 5 à 7" (1961) de Agnès VARDA, "Les Parapluies de Cherbourg" (1964) de Jacques DEMY et donc "Adieu Philippine", le premier long-métrage de Jacques ROZIER dans lequel un ancien appelé répondant qu'il n'a "rien" à raconter évoque en creux l'indicible de ce qui se passe de l'autre côté de la Méditerranée.

Le film décrit avec beaucoup de fraîcheur et de spontanéité le marivaudage à la "Jules et Jim" (1962) de trois jeunes gens à Paris puis en Corse. Car c'est la marque des films de Jacques ROZIER: ils sont toujours scindés en deux parties. Une première partie sur des rails dans laquelle les personnages sont encore relativement contraints et une partie où ils prennent la tangente dans des lieux de vacances ancrés dans le terroir français (il n'y a qu'à écouter la musicalité des accents pour s'en rendre compte) mais sauvages et lunaires. Mais ce qui donne tout son sens au film, c'est le sombre cadre qui entoure les tranches de frivolité dans lesquelles s'ébattent les personnages. L'ouverture sur un fond noir dans lequel on nous rappelle que 1960 est la sixième année de la guerre d'Algérie, l'épée de Damoclès qui pèse tout au long du film sur Michel (Jean-Claude Aimini) le machiniste de plateaux TV qui attend sa feuille de route et la séquence de fin qui le voit embarquer sur un bateau en direction du continent (pour des raisons de censure, Jacques ROZIER le fait partir de Calvi vers la France mais à cette époque, faire son service militaire signifiait partir pour l'Algérie). C'est cette tragédie en arrière-plan qui explique la fuite en avant de cette jeunesse, son refus de l'engagement et des contraintes. N'ayant pas de perspective, elle vit dans l'instant présent comme si chaque jour était le dernier et qu'il fallait en profiter le plus possible. Le fait que Michel ne choisisse aucune des deux filles est révélateur de cette impasse existentielle. A quoi bon construire une relation stable si c'est pour mourir?

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