Overblog
Editer l'article Suivre ce blog Administration + Créer mon blog

Une affaire de famille (Manbiki kazoku)

Publié le par Rosalie210

Hirokazu Kore-Eda (2018)

Une affaire de famille (Manbiki kazoku)

Dans la culture japonaise, le bien et le mal n'existent pas de façon absolue (sans doute parce qu'il n'y a jamais eu de "Dieu le père" pour le leur dicter). Ce qui compte, c'est d'être en accord avec soi-même et de s'accomplir en choisissant son destin quelles qu'en soit les conséquences. Suivre sa voie avec sincérité, même si cela implique de transgresser une bonne demi-douzaine de lois est le fondement ancestral de cette morale que les occidentaux qualifient d'ailleurs et c'est révélateur de leur ethnocentrisme "d'amorale". Un terme lu dans la critique de Télérama sur "Une affaire de famille" mais aussi dans une autre critique à propos d'une autre Palme d'or japonaise, "L Anguille" (1997) de Shôhei IMAMURA. En dépit de l'occidentalisation du Japon tant juridique qu'économique depuis la révolution Meiji et encore plus depuis 1945, l'acculturation de la société est restée superficielle, surtout lorsqu'on interroge ses marges (ce que font les deux films).

La famille est le microcosme le plus pertinent pour étudier cette tension entre la loi (extérieure, désincarnée) et la morale (intérieure et incarnée). Censée incarner le pilier de la société dans le schéma patriarcal occidental selon lequel (Dieu) le père représente la loi, elle est ici joyeusement déconstruite selon les "critères" d'une morale de la voie intérieure. Ainsi la famille dépeinte par Hirokazu KORE-EDA vit en marge des règles économiques et sociales issues de l'Etat de droit et du capitalisme mais en harmonie avec ses propres règles intérieures. Aux yeux de la loi, ce sont des délinquants multirécidivistes et des asociaux mais eux n'en ont cure puisqu'ils sont heureux avec les règles qu'ils se sont inventés. Le vol est permis puisque ce qui se trouve dans les magasins n'appartient encore à personne, à condition que cela n'entraîne pas la faillite du magasin. Et ces rapines sont indispensables pour compléter les salaires des emplois précaires occupés par les parents. Un enfant livré à lui-même et maltraité que l'on recueille et qui choisit de rester n'est pas volé à sa famille biologique, il est sauvé d'un manque d'amour et d'attention. Les enfants qui vont à l'école sont uniquement ceux qui ne peuvent pas s'instruire à la maison. Et ce qui passe pour un recel de cadavre est à la fois une combine pour échapper au prix des obsèques et un moyen de ne pas se séparer. Les liens du sang et les états civils sont superbement ignorés. Les patronymes sont mouvants, les liens exacts entre les personnages sont volontairement embrouillés. Cela ne rend que plus limpides et magnifiques les scènes d'élans du coeur et du corps. Celle où Nobuyo la mère (Sakura ANDÔ) reconnaît sa fille en la petite Juri par la similitude de leurs cicatrices. Celle où elle la serre contre elle en lui expliquant que c'est ce que l'on fait quand on aime. Celle où la chaleur de l'été transfigure la pièce surchargée et exiguë qui les abrite et embrase le désir des parents. Celle enfin où le fils Shôta parvient à dire "papa" à Osamu (Lily FRANKY) qui court à perdre haleine derrière le bus qui l'emporte loin de lui. L'atomisation de cette famille par les agents de la loi a donc quelque chose d'un crime et les dernières images devraient être diffusées dans tous les services sociaux d'aide à l'enfance qui sacralisent les liens du sang et les règlements au lieu d'être à l'écoute de ce que l'enfant vit et ressent.

Commenter cet article