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Duel

Publié le par Rosalie210

Steven Spielberg (1971)

Duel

Le premier film de Steven SPIELBERG est entré dans l'histoire et ce n'est pas un hasard. Avec des ingrédients basiques: un camion, une voiture, une route, Spielberg réussit à nous tenir en haleine et même à flirter avec le fantastique et la métaphysique rien que par son talent à manier l'outil cinématographique. Et bien qu'en apparence extrêmement simple, "Duel" s'avère être d'une extrême richesse.

Il y a d'abord le scénario de Richard Matheson, auteur de "Je suis une légende" et "L'homme qui rétrécit". Des récits où l'horreur surgit du quotidien et menace d'anéantissement un individu isolé dont les efforts pour rester humain s'avèrent dérisoirement vains. C'est exactement le sort qui attend David Mann (man signifiant homme). Alors qu'il est sur la route, il croise un camion ou plutôt un monstre carnassier (ce sont les "Les Dents de la mer" (1975)" avant l'heure ou plutôt les dents de la route) qui le prend en chasse dans un duel à mort au cœur d'un environnement hostile. Pas seulement parce que la course-poursuite se déroule dans le désert mais parce que David ne trouve aucun secours auprès des rares humains qu'il croise.

L'atmosphère du film est en effet très proche des films de SF des années cinquante, transposée à la télévision dans la décennie suivante (n'oublions pas que "Duel" était à l'origine un téléfilm). Des films marqués par la crainte du "péril rouge" lié à la guerre froide. Je pense en particulier au film de Don SIEGEL, "L'Invasion des profanateurs de sépultures" (1956) notamment quand David (Dennis WEAVER) tente d'arrêter des automobilistes mais que ceux-ci fuient, effrayés. Les êtres que croise David paraissent d'autant plus lâches, indifférents ou hostiles que la vision de ce dernier est déformée par sa paranoïa. Une double paranoïa d'ailleurs car l'expérience d'isolement de David au sein d'une société hostile est aussi celle du peuple juif en tant que minorité persécutée. Comme le conducteur du camion reste invisible, il n'est personne c'est à dire tout le monde. A moins qu'il ne soit un mutant, la machine ayant absorbé l'homme dont les seules parties du corps discernables sont un bras et deux jambes. L'incapacité de David à l'identifier est un élément majeur du basculement du film dans la "La Quatrième dimension" (1959) une série que Richard Matheson a contribué à scénariser.

Une autre référence fondamentale du film est le thriller hitchcockien. "La Mort aux trousses" (1959) évidemment avec son quidam sans histoires embarqué malgré lui dans une machination qui le dépasse. Lui aussi doit se mesurer dans un duel à mort dans un lieu désertique avec un avion dont le pilote est tout aussi invisible que le conducteur du camion du film de Steven SPIELBERG. La scène où le camion attaque la cabine téléphonique où s'est réfugié David fait quant à elle penser au film "Les Oiseaux" (1962). Enfin celle où le camion attaque sa voiture pour la pousser sur les rails au passage d'un train rappelle les coups de couteau répétés de la scène de douche de "Psychose" (1960) alors que la musique prend des accents herrmannien.

Car ce que raconte "Duel" relève de la pulsion (très) primaire du combat de coqs, la route étant une arène particulièrement propice au déchaînement de testostérone. Il n'est pas exact de dire que le camion attaque David sans raison. Il l'attaque parce qu'il l'a doublé. Cet acte est perçu par le camion comme une offense à sa virilité, l'équivalent du gant jeté même si de la part de David c'est totalement involontaire. Il marque le début du duel qui ne peut se terminer que par la mort de l'un des protagonistes dans un cadre qui rappelle le western. Le déséquilibre des forces en présence est une allusion au combat de David et de Goliath. Le camion-Goliath n'a d'autre but que de soumettre David c'est à dire de le forcer à accélérer quand il est devant et de le ralentir quand il est derrière. Il l'humilie encore davantage dans la scène où il pousse le bus scolaire alors que David a échoué (manière de souligner sa puissance face à l'impuissance présumée de David, lequel est caractérisé comme un homme faible qui ne parvient pas à incarner sa fonction sociale de chef de famille). L'assimilation de David au monde féminin est frappante dans le plan où celui-ci se retrouve enfermé dans le cercle d'un couvercle de machine à laver avec le symbole de masculinité du camion en arrière-plan. Quant à l'assaut répété du camion sur la voiture au bord des rails, il ressemble de façon troublante à un viol (la dévoration étant un substitut de cet acte). La victoire biblique finale de David par la ruse et à l'arraché n'en est que plus forte.

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