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Achille et la tortue (Akiresu to kame)

Publié le par Rosalie210

Takeshi Kitano (2008)

Achille et la tortue (Akiresu to kame)


"Achille et la tortue" est une fable sur les affres du processus créatif empreint du style si particulier de Takeshi KITANO où l'humour est sous-tendu par un profond désespoir. Le personnage principal, Machisu désire de façon obsessionnelle devenir un grand artiste peintre et se faire reconnaître comme tel par ses pairs. C'est la vanité, l'absurdité et l'aspect profondément autodestructeur de cette quête sans fin que raconte le film. Le cheminement artistique de Machisu qu'on voit passer par plusieurs périodes, de l'enfance à l'âge mûr, de l'académisme aux recherches formelles les plus audacieuses n'est jalonné que de tragédies et de désillusions. Quoiqu'il réalise, le résultat n'est jamais satisfaisant, ni à ses propres yeux, ni à ceux du marchand d'art qui critique ses œuvres ce qui nous interroge sur la dépendance de l'artiste vis à vis du regard d'autrui et les critères de valeur attachés aux oeuvres. En effet Takeshi KITANO fait une satire féroce du milieu de l'art. Le marchand qui ne cesse de repousser les œuvres du Machisu adulte a acheté sans le savoir un tableau peint par Machisu enfant. Il s'est fait escroquer par des créanciers qui ont saisi les biens du père de Machisu après qu'il ait fait faillite et se soit donné la mort. Ils ont facilement écoulé les tableaux peint par Machisu enfant en les faisant passer pour des œuvres exceptionnelles. Ce n'est donc pas la valeur intrinsèque du tableau qui entraîne l'acte l'achat mais la peur de passer à côté d'une bonne affaire. Machisu n'arrive pas à vendre ses œuvres non parce qu'elles sont mauvaises mais parce qu'il ne sait pas se vendre.

D'autre part la recherche artistique prend une telle place dans la vie de Machisu qu'elle finit par le dévorer. Au point que l'on se demande si son échec en tant qu'artiste n'est pas lié au fait que sa peinture est dénuée d'âme. En effet, Machisu a utilisé son art comme un écran le protégeant de la violence du monde qui l'entourait, sa vie étant jalonnée de tragédies. Mais elle l'a paradoxalement rendu insensible, lui faisant sacrifier sa famille et le poussant au suicide. Il finit par considérer le cadavre d'un automobiliste accidenté puis de sa propre fille comme un simple objet d'étude. Cette indifférence au monde, aux autres et à lui-même a quelque chose de terrifiant.

Comme c'est Takeshi KITANO qui interprète le rôle du Machisu d'âge mûr (et qui a peint toutes les œuvres), on ne peut s'empêcher de se demander quelle est la part d'autoportrait dans le film. Contrairement à Machisu, Takeshi KITANO a réussi à atteindre une notoriété internationale, non en tant que peintre mais en tant que cinéaste. Cependant cette reconnaissance n'est pas venue de son propre pays qui ne le prenait pas au sérieux mais de la critique internationale qui n'était pas aveuglée par le préjugé lié à sa première vie d'amuseur public sous le nom de Beat Takeshi. Les changements incessants de style de Machisu sont ainsi le reflet des différentes périodes de la vie de Takeshi KITANO ainsi que de sa personnalité écartelée entre le comique et le tragique. L'un des autoportraits de Machisu le dépeint en clown triste et c'est une très bonne définition de Takeshi KITANO dont l'humour masque mal la mélancolie profonde et un désespoir abyssal qui se traduit par des pulsions suicidaires. La séquence où pour faire de l'action painting, un étudiant se tue en précipitant sa voiture contre un mur est une allusion à peine voilée à la tentative de suicide de Takeshi KITANO en 1994 qui laissa son visage à moitié paralysé. D'autre part après "Zatoïchi" (2003), Takeshi KITANO a connu une période difficile faite de panne d'inspiration et de doutes sur ses réelles capacités artistiques dont il témoigne dans le film en se dépeignant en artiste raté.

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