A Scene at the Sea (Ano natsu, ichiban shizukana umi)
Takeshi Kitano (1991)
Troisième film de Takeshi KITANO après "Violent cop" (1989) et "Jugatsu" (1990), "A Scene at the Sea" marque un tournant dans sa filmographie. Pas sur le plan de sa réception qui reste encore confidentielle. Le film n'est pas plus que les précédents distribué en dehors du Japon qui boude son œuvre de cinéaste. Le pays du soleil levant n'a aucune considération pour celui qu'elle considère seulement comme l'amuseur public numéro 1 à la télévision. Mais sur le plan du contenu, "A Scene at the Sea" est une petite révolution par rapport aux deux précédents films par son caractère d'épure contemplative et poétique. Takeshi KITANO n'apparaît pas à l'écran et la violence est totalement absente d'un film où ne figure ni flic ni yakuza. D'autre part il s'agit d'un film quasiment sans paroles du fait qu'il nous plonge dans la bulle sensorielle de deux sourds-muets. Peu de paroles donc (comme dans les films ultérieurs peuplés de personnages plus mutiques les uns que les autres) ainsi qu'une expressivité faciale et corporelle minimaliste qui renvoie à toute une tradition culturelle (l'estampe et le théâtre notamment) mais aussi au clown blanc du type Buster KEATON ou Jacques TATI. Mais par ailleurs une sensibilité exacerbée dans la perception d'un univers où la musique et la peinture jouent un rôle crucial. C'est le premier film auquel participe Joe HISAISHI qui sera le fidèle compositeur des films de Takeshi KITANO jusqu'à "Dolls" (2002). Pour "A Scene at the Sea", il compose des mélopées lancinantes qui font penser au flux et au reflux des vagues. D'autre part les scènes sont composées comme des tableaux ce qui renvoie à l'activité d'artiste-peintre de Takeshi KITANO. Les scènes-tableaux de "A Scene at the Sea" se composent de lignes claires parallèles ou perpendiculaires à la mer qui se répètent de façon hypnotique jusqu'à créer un paysage géométrique à la Mondrian. On pense également aux rimes d'un poème. Rimes et lignes qui se répètent jusqu'à l'infini ou jusqu'au néant. Car cet appel du large qui obsède Shigeru et le pousse à apprendre le surf (et à délaisser son travail d'éboueur on ne peut plus symbolique!) finit-il par l'engloutir ou bien au contraire le libère-t-il de la pesanteur et de l'enfermement de son existence? Le mystère reste entier, le film laissant son acte en hors-champ. Seule reste sa planche de surf et un carton affiché sur l'écran "il est devenu poisson".
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