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Makala

Publié le par Rosalie210

Emmanuel Gras (2017)

Makala

"Makala" est le troisième long-métrage de Emmanuel GRAS, un jeune réalisateur français formé en tant qu'opérateur à l'institut Louis Lumière et plutôt engagé à l'extrême-gauche (d'où les thématiques très sociales de ses films). C'est en tant que chef opérateur qu'il s'est rendu en RDC (République démocratique du Congo) pour y tourner deux documentaires pour le cinéaste flamand Bram Van Paesschen en 2008 et 2010. Il découvre à cette occasion la région du Katanga où se situe "Makala" et le travail de forçat des charbonniers, arrimés à leurs vélos surchargés de sacs de charbon de bois qu'ils vont vendre en ville après l'avoir fabriqué artisanalement. L'idée de "Makala" (qui signifie en swahili "charbon de bois") était née. Restait à l'incarner. C'est en faisant des repérages pour le film que Emmanuel GRAS rencontra son personnage principal Kabwita Kasongo. Un contrat tacite fut scellé entre eux: en échange de sa participation au film, Kabwita recevrait une aide financière du réalisateur pour construire sa maison.

Le résultat est un film documentaire puissant, d'une grande beauté esthétique et dont les parti-pris radicaux interrogent. Ainsi Emmanuel GRAS choisit de s'effacer pour faire corps avec son personnage et ne jamais le lâcher. En résulte une immersion réussie dans son quotidien laborieux qui fait penser à la manière de filmer de Luc DARDENNE et de Jean-Pierre DARDENNE (et également à celle des films expérimentaux de GUS VAN SANT). Le spectateur éprouve les sensations de ce jeune homme qui déploie des efforts physiques surhumains pour arracher à la nature et à la société les moyens de sa subsistance. Le tout sur un rythme lent, contemplatif très éloigné de notre société de la vitesse et lié en partie à l'absence de moyens technologiques pour accélérer les processus de fabrication et de transport. Mais le cadre resserré isole Kabwita de son environnement ce qui nous coupe du contexte africain où l'homme est inséparable de sa communauté. On objectera qu'il s'agit d'un regard d'occidental (individualiste donc) sur l'Afrique et que Emmanuel GRAS a déclaré qu'il avait voulu faire une oeuvre de cinéaste plus que de documentariste. On peut également objecter que le contexte politique et social dans lequel vit Kabwita se devine à travers son parcours solitaire. Les conditions de vie misérables qui contraignent à de lourdes tâches physiques usant prématurément le corps, la démographie galopante et la déforestation, la corruption qui gangrène le pays, l'absence d'Etat pour assurer l'ordre et goudronner les routes défoncées, le pillage des ressources du pays par les grandes puissances tout cela est évoqué à un moment ou à un autre que ce soit par la vision fugitive d'une mine à ciel ouvert (sans doute exploitée par des chinois) ou du racket dont est victime Kabwita lorsqu'il veut entrer dans la ville. Mais la vision selon moi la plus puissante du film est celle de ces énormes camions fonçant sur la route et menaçant à chaque instant l'entreprise (voire la vie) de la fragile embarcation du héros. Plus qu'à Sisyphe auquel on l'a beaucoup comparé, il m'a fait penser à David contre Goliath ou au pot de terre contre le pot de fer. Et le message final que fait passer le réalisateur à savoir la non prise en compte du prix de la sueur renvoie aussi à la sous-estimation du travail manuel chez nous.

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