Les salauds dorment en paix (Warui yatsu Hodo yoku nemuru)
Akira Kurosawa (1960)
Méconnu en France sans doute parce qu'il s'agit d'un film noir et non d'un film historique, "Les salauds dorment en paix" est pourtant l'un des plus grands chefs d'œuvre de Akira KUROSAWA, mêlant avec virtuosité cinéma et théatre.
Le film est tout d'abord une satire au vitriol du Japon d'après-guerre gangrené par la corruption. La mise en scène est étourdissante de maîtrise. A l'image de Jean RENOIR, Akira KUROSAWA joue beaucoup sur la profondeur de champ pour instaurer une distance critique avec l'action qui se déroule sous nos yeux. La scène d'ouverture d'une durée de vingt minutes (qui a inspiré Francis Ford COPPOLA pour celle du film "Le Parrain" (1972)) se déroule pendant le banquet de mariage de la fille du patron avec son secrétaire particulier mais un aéropage de journalistes chargé de couvrir l'événement fait des commentaires acerbes et se délecte des incidents au parfum de scandale qui éclatent en direct. Lors d'une autre scène, un employé de la compagnie qui se fait passer pour mort contemple caché dans une voiture le spectacle de ses funérailles durant lesquelles les dirigeants s'inclinent devant son effigie alors qu'une bande magnétique enregistrée à leur insu dévoile leur contentement d'avoir poussé un témoin gênant de leurs pratiques mafieuses au suicide.
Mais là où le film atteint des sommets d'intensité, c'est lorsque sur ce cloaque nauséabond il greffe une tragédie shakespearienne digne de "Hamlet" dont Akira KUROSAWA s'est librement inspiré tout en étant encore plus sombre et fataliste que l'œuvre d'origine. Il y a quelque chose de pourri au pays du soleil levant et c'est la relation filiale qui en paye le prix. En effet les pères s'y révèlent d'une totale indignité. Nishi (Toshirô MIFUNE) veut venger le sien qui l'a jamais reconnu alors que son beau-père n'hésite pas à briser sa fille Yoshiko (Kyôko KAGAWA) pour mieux l'anéantir. Kurosawa semble nous dire qu'en sacrifiant leurs enfants au profit de leur hiérarchie ou de leurs ambitions sociales, les pères privent leur pays d'avenir. La fin se déroule dans un paysage ravagé lié aux stigmates de la guerre qui dans les années 60 ne semble toujours pas terminée. La mort de Nishi, laissée en hors-champ est racontée par un personnage tiers comme celle d'Ophélie dans "Hamlet". Il y a aussi un fantôme, le fameux employé revenu d'entre les morts pour terrifier sa hiérarchie. Et pour confondre son beau-père en public, Nishi commande une pièce montée en forme de scène de crime comme le faisait Hamlet avec les comédiens chargés de rejouer la scène devant le roi.
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