L'Atalante
Jean Vigo (1934)
"L'Atalante" comme "Zéro de conduite (1933)" sont des fulgurances poétiques puissamment charnelles et trempées du sceau de la révolte contre toutes les institutions bourgeoises. Un cinéma dérangeant qui fut censuré ou défiguré dès sa création avant d'être redécouvert après-guerre par les futurs cinéastes de la Nouvelle Vague. Jean VIGO a eu une influence déterminante sur François TRUFFAUT et le style des "Les Quatre cents coups (1959)" lui doit beaucoup. Il fallut toutefois attendre 1990 pour que "l'Atalante" soit restaurée dans un état proche de ce que voulait Jean VIGO grâce à la découverte miraculeuse d'une copie du film datant d'avant les remaniements imposés par les distributeurs.
Le scénario de "L'Atalante" n'avait au départ rien de sulfureux. Il s'agissait d'une oeuvre de commande par laquelle le producteur espérait offrir à Jean VIGO une seconde chance (après le sulfureux "Zéro de conduite") de faire reconnaître son talent auprès des professionnels du cinéma. Mais Vigo transforma le matériau convenu en quelque chose de profondément vivant et par là même, effrayant.
Effrayant est le mot qui convient de par les abîmes que Vigo fait découvrir au spectateur qu'ils soient de sensualité ou de noirceur, souvent à l'aide d'images poétiques flirtant avec le fantastique. Juliette (Dita PARLO) n'a jamais quitté son village mais rêve d'aventures et d'exotisme (comme les spectateurs qui allaient au cinéma pour s'évader de leur quotidien difficile alors que la crise des années trente frappait la France). Elle se marie donc avec Jean, un batelier (Jean DASTÉ) et embarque à bord de "L'Atalante", une péniche qui parcourt le réseau de la Seine. Le déchirement d'avec sa communauté d'origine est admirablement rendu, que ce soit au cours de la procession (qui ressemble plus à une veillée mortuaire qu'à une cérémonie de mariage) ou de l'embarquement (la noce verticale qui reste "plantée" à terre et s'oppose en tous points à la mariée qui parcourt la péniche à l'horizontale telle un fantôme). Mais cette vie est en réalité un nouvel enfermement lié au labeur de son mari mais encore plus, à sa jalousie. Déçue, elle se tourne d'abord vers l'extravagant père Jules (Michel SIMON) et son aura d'exotisme puis tombe sous le charme d'un camelot (Gilles MARGARITIS) qui lui fait miroiter les délices de la vie parisienne. Là encore, cela ne s'avère être qu'un mirage derrière lequel se cache la violence et la misère d'une société aliénée.
En même temps qu'il développe une critique sociale virulente, Jean VIGO célèbre en parallèle les joies de la chair avec tout autant de puissance. Car ce qui a été censuré en premier lieu, ce sont toutes les scènes jugées (à juste titre d'ailleurs) trop sensuelles et osées. Le père Jules est un personnage sulfureux dont la collection d'objets exotiques en tous genre comprend des portraits de femmes nues parfois dessinées à même la peau mais aussi des mains conservées dans le formol. La mise en scène suggère très bien son pouvoir de séduction sur Juliette par le rapprochement de leurs corps (notamment sur un lit) et l'exhibition des tatouages de ce dernier. Autres moments troubles, celui où Jean et Juliette qui se sont séparés rêvent l'un à l'autre dans leur lit en se livrant à des gestes autoérotiques (rien ne suscite plus le désir que le manque!) et celui où Jean plonge tout au fond de l'eau pour y retrouver l'image de sa bien-aimée accomplissant ainsi un rite de passage qui le fait basculer vers cet ailleurs dont rêve Juliette, celui du désir et non celui de la loi.
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