New York-Miami (It Happened One Night)
Frank Capra (1934)
"New York-Miami" est considéré comme le film fondateur de la screwball, ce genre de comédie typiquement américaine des années 30 et 40 qui reprend les schémas du cinéma burlesque muet tout en l'adaptant au parlant. La screwball se caractérise en effet par des échanges dialogués vifs et piquants au sein d'un couple que tout semble opposer alors qu'en vérité ils sont fait l'un pour l'autre. C'est pourquoi on parle également souvent de "comédie du remariage". Soit qu'il s'agisse d'un couple déjà formé sur le point de se séparer et qui finit par se rabibocher, soit de deux personnes qui se rencontrent et qui après s'être bien frottées l'une à l'autre (d'où les étincelles!) vont finir par rompre leurs engagements pris ailleurs pour former un couple.
C'est à ce dernier cas de figure qu'appartient "New York-Miami" qui repose sur un choc des mondes. Soit Ellie (Claudette COLBERT) une jeune héritière pourrie gâtée et totalement ignorante de la réalité de la vie que son désir de liberté pousse à sauter hors du yacht paternel bien protégé pour se mêler à la plèbe en voyageant en bus (moyen de locomotion du pauvre aux USA) et dormant au camping. Elle se retrouve compagnie de chômeurs (la grande dépression est évoquée au travers d'une passagère qui s'évanouit d'inanition), d'hommes lubriques et de Peter, un reporter bourru en rupture de contrat porté sur la boisson et les potins (Clark GABLE) qui lui porte un intérêt immédiat. Est-ce pour ses beaux yeux ou pour le profit qu'il peut en retirer? Toujours est-il que la suffisance des deux personnages (à coups de "Non, mais je peux me débrouiller toute seule, je suis une grande fille moi" tout de suite démenti par la réalité ou de "Je me fiche bien de vous", également contredit par la suite des événements) produit des étincelles comiques réjouissantes tandis que sous le vernis conflictuel perce rapidement la romance.
Le génie de Capra est d'avoir mis en mouvement cette intrigue théâtrale en l'intégrant dans un espace-temps parfaitement maîtrisé. Le film est en effet un road movie qui emprunte son rythme effréné aux films d'aventure et aux polars: poursuite, couple en fuite, fausses identités, atmosphère nocturne. Ce mélange réjouissant est enfin pimenté par un érotisme latent qui est un perpétuel défi à la censure. Capra joue énormément avec les situations scabreuses permises par la promiscuité (que ce soit dans le bus ou au camping) ainsi qu'avec les symboles. La scène hilarante de l'auto-stop voit s'affronter deux formes de phallisme et c'est la jambe bien galbée d'Ellie qui claque le beignet au pouce "trois positions" de Peter censé être imparable (Clark GABLE s'avère au passage être d'une efficacité comique redoutable avec un sens de l'autodérision proche de celui d'un Hugh GRANT). Il en va de même avec la nourriture, a-t-on besoin de préciser pourquoi Ellie refuse de s'alimenter à bord du yacht alors que quelques heures plus tard elle apprend à tremper correctement son donut dans le café sous les directives de Peter puis accepte de mordre dans une carotte?
Mais sa plus grande audace ne réside-elle pas dans le dernier plan? La chute du mur de Jéricho symbolise aussi bien l'union sexuelle que l'abolition des barrières sociales ou des préjugés sexistes (Ellie revêtant le pyjama et la robe de chambre de Peter, c'était déjà un premier pas.)
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