Quand la ville dort (The Asphalt Jungle)
John Huston (1950)
John Huston est un cinéaste qui aime les gens. Son cinéma se situe à leur hauteur. Il capte en gros plan les moindres expressions de leurs visages ce qui donne un relief saisissant aux personnages et aux acteurs qui les interprètent. Ce préambule pour souligner le fait que si "Quand la ville dort" est un tel chef d'œuvre "copié mais jamais égalé" (expression discutable d'ailleurs, les polars de J.P Melville peuvent en témoigner) c'est parce qu'il dépasse son sujet. S'il ne l'avait pas dépassé il serait resté dans l'histoire du cinéma comme le premier film de casse montrant avec une grande maîtrise cinématographique toutes les étapes d'un cambriolage. Mais le titre en VO du film est "The Asphalt Jungle". L'aventurier adepte des contrées exotiques qu'est Huston braque sa caméra sur la faune urbaine nocturne qui peuple les villes américaines au temps de la grande Dépression et nous en extrait quelques saisissants portraits:
- L'avocat véreux Emmerich (Louis Calhern) qui s'enfonce dans le crime par goût du luxe (et de la luxure, sa très jeune maîtresse Angela n'étant autre que Marilyn Monroe alors âgée de 24 ans). Criblé de dettes, il est aux abois ce qui le rend peu fiable. Avec Ditrich le flic (Barry Kelley), il symbolise la corruption qui gangrène la ville et ses institutions les plus respectables. Mais Louis Calhern donne une interprétation nuancée de son personnage qui apparaît faible et désemparé face à une situation dans laquelle il s'est enfermé et qui le dépasse.
-Le petit bookmaker Cobby (Marc Lawrence) qui avec Emmerich est le financier du casse. C'est un homme nerveux, angoissé, peureux qu'il est facile de faire craquer.
- Le cerveau du casse Doc Riedenschneider (Sam Jaffe) véritable "gentleman cambrioleur" dont l'intelligence, la distinction et le sang-froid imposent le respect. Tout juste sorti de prison, il rêve de prendre sa revanche sur la vie. Huston nous montre d'autant mieux sa vulnérabilité: il joue de malchance ("Que peut-on contre la fatalité?") et son penchant pour les jeunes filles le perd.
- L'homme de main Dix Handley (Sterling Hayden) dont la famille a été chassée de sa ferme par la crise et qui rêve de retrouver ses racines rurales. C'est avec Doc le personnage le plus approfondi de l'histoire et sans doute le plus tragique. Son apparence rustre et ses actes criminels sont contrebalancés par son sens de l'honneur et de l'amitié (avec Gus le bossu et son formidable interprète James Withmore qui en fait un homme écorché à la fois capable d'une grande tendresse et d'explosions de violence). Cependant c'est son penchant autodestructeur qui l'emporte. Il perd systématiquement tout ce qu'il gagne et ironiquement, ne s'arrache de l'asphalte que pour venir agoniser dans la prairie sous les yeux impuissants de la femme qui l'aime, Doll (Jean Hagen dans un rôle aux antipodes de celui qu'elle jouera deux ans plus tard dans "Chantons sous la pluie").
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