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Jour de fête

Publié le par Rosalie210

Jacques Tati (1949)

Jour de fête

Jacques Tati est considéré comme le neveu français des grands burlesques américains des années 10 et 20. "Jour de fête" son premier long-métrage est plein de références à Chaplin, Keaton (les roues bloquées par le bitume de son vélo et débloquées par une poignée de sable font référence au "Mecano de la Genérale"), Lloyd (le véhicule qui échappe au contrôle de son conducteur) mais aussi au moins connu Ben Turpin avec un clone moustachu parmi les habitants de Sainte-Sévère, le village de l'Indre où a été tourné le film. Comme dans les "Demoiselles de Rochefort" de Jacques Demy autre cinéaste à la fois ancré dans un terroir et influencé par le cinéma outre-Atlantique, les forains apportent le souffle de l'exotisme et de l'aventure à une communauté repliée sur ses traditions. Tati voulait d'ailleurs à l'origine tourner un film en couleurs pour montrer le contraste entre le noir et blanc porté par les paysans et les forains multicolores. En 1947, le procédé n'était pas au point et la version couleurs ne put être exploitée, heureusement une deuxième caméra avait filmé le tournage en noir et blanc. Il existe également une troisième version intermédiaire où Tati avait ajouté des touches de couleur au pochoir ici et là.

Néanmoins, Tati affirme également dès ce film sa différence vis à vis du modèle américain. Il invente une nouvelle forme de burlesque ancré dans son époque et dans sa culture. Et ce d'autant plus que sa relation avec l'Amérique est ambivalente.

La première originalité des films de Jacques Tati, ce sont leur ancrage réaliste. L'immersion dans la France rurale de l'après-guerre est totale. Tati a filmé en extérieurs et en décors naturels la vie quotidienne d'un petit village typique de la France profonde voire "éternelle" avec son église, son café, son monument aux morts, sa boucherie, sa boulangerie, sa mairie, son école... et ses habitants, majoritairement des paysans avec un accent à couper au couteau et vivant encore de façon très traditionnelle. La modernité n'a pas encore bouleversé les pratiques. En 1947, on se déplace encore en charrette à cheval ou au mieux à vélo, on coupe le foin à la main. Les autos sont très rares et Tati ironise sur leur vitesse qui représente une rupture dans le rythme du village caractérisé par sa lenteur. Ses qualités de documentariste feront de Tati un des meilleurs historiens (satirique) des bouleversements des 30 glorieuses. Il en montre les prémisses dans "Jour de fête", la transition entre tradition et modernité avec "Mon Oncle" puis le triomphe dans "Playtime".

Car dès "Jour de fête", Tati prend ses distances avec le modèle américain. La tournée du facteur François "à l'américaine" dictée par le souci de la rentabilité donc de la vitesse et de la performance enlève au facteur son rôle de lien social. Il n'a plus le temps de discuter, de prendre un verre, de rendre de petits services. Le vélo qui continue sa route privé de son propriétaire traduit bien la deshumanisation qui en résulte. Une critique de l'économie capitaliste que l'on retrouve dans les films ultérieurs.

Enfin Tati se démarque du burlesque US qui était muet par l'utilisation de la bande-son comme élément comique à part entière. Dans "Jour de fête" il y a le running gag du bourdon invisible qui perturbe les trajectoires et que François refile au paysan. Egalement le doublage en français du western que le cinéma de la place du village diffuse et qui permet au forain Roger (Guy Decomble) de déclarer sa flamme à la plus jolie fille du village de Sainte-Sévère. Roger apparaît d'ailleurs comme un cow-boy au rabais: ses outils remplacent les pistolets, ses chevaux de bois les vrais chevaux... Car la France ne peut imiter le modèle américain, elle doit l'adapter. Comme la femme du cafetier avec sa robe parisienne, Tati a dû adapter un genre de cinéma fait pour des acteurs de petite taille à son corps élancé. Il ne se plie pas encore mais il y a déjà la métaphore du piquet!

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