La ville abandonnée (Yellow Sky)
William Wellman (1948)
Splendide western dont l'atmosphère expressionniste digne d'un film noir s'accompagne d'une intrigue dépouillée à l'extrême qui tire l'histoire du côté de la fable ou du mythe.
Le scénariste a avoué s'être inspiré de "La tempête" de William Shakespeare dont on reconnaît le canevas. Prospero et sa fille Miranda sont incarnés par le vieux prospecteur et sa petite-fille surnommée "Mike" à cause de son comportement de garçon manqué. Coupés du monde, ils vivent au beau milieu du désert du Nevada, près d'une ville fantôme et en ruines, en harmonie avec les éléments naturels et les esprits (l'environnement et les indiens Apaches). Autour d'eux, une redoutable mer de sel, à priori infranchissable. Pourtant 6 "naufragés" s'échouent sur les marches du saloon, à demi-morts de soif après avoir réussi à franchir l'obstacle. Ces hommes, nous le savons depuis les premières images, sont des truands qui se sont enfuis dans le désert après avoir commis un braquage. L'épreuve terrible de la traversée-purgatoire a néanmoins permis de révéler une ligne de fracture derrière l'apparente unité du groupe. Tels Ariel et Caliban, il y a ceux qui sont dominés par des pulsions de vie, Stretch (qui donne à boire aux chevaux) et Half Pint (révolté par le meurtre gratuit d'un lézard) et ceux qui au contraire sont dominés par leurs pulsions de mort, Lengthy et Dude, vicieux et violents. Bull Run le petit jeune sentimental et Walrus nounours alcoolique et trouillard naviguent entre ces deux pôles.
Le huis clos de la ville fantôme et les attraits offerts par ses deux seuls habitants vont exacerber les tensions au sein du groupe jusqu'au point de non retour. Dude est obsédé par l'or découvert par le vieux prospecteur alors que la plupart des autres, Stretch et Lenghty en tête éprouvent un désir bestial pour Mike qui se traduit par ce qu'on pourrait qualifier aujourd'hui de harcèlement. Néanmoins, à force de se heurter lors de scènes musclées où parfois les rôles sont inversés (plan jubilatoire où l'on voit Stretch rendant les armes et arborant un drapeau blanc depuis l'intérieur du canon du fusil de Mike qui le tient en joue), on voit progressivement Stretch muer de primate à homme civilisé (comme dans "La guerre du feu", toutes proportions gardées) alors que Mike découvre sa féminité. Et Wellman d'en profiter pour fustiger la guerre (ici de Sécession) et ses ravages sur les âmes. Quant au désir de possession, il est montré dans son aspect le plus mortifère puisque ceux qui s'y accrochent sont (con)damnés alors que ceux qui y renoncent sont sauvés.
"La ville abandonnée" a eu entre autre une très forte influence sur Sergio Leone que ce soit sur le fond (la traversée du désert lui a inspiré celle du film "Le Bon, la Brute et le Truand") ou sur la forme (les visages des hors la loi captés les uns derrière les autres)
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