La Charge héroïque (She Wore a Yellow Ribbon)
John Ford (1949)
"La charge héroïque", il ne faut pas se le cacher, peut rebuter aujourd'hui à cause de personnages caricaturaux dans leur majorité et d'une intrigue mollassonne qui entraîne rapidement l'ennui. Pour comprendre son intérêt, il faut aller au delà de cette impression négative car si le film n'est pas spontanément passionnant, il le devient lorsqu'on l'analyse plus en profondeur.
Le titre français est un pur et simple contresens. Il annonce un film viril, guerrier, triomphant, conquérant, bref un film à la gloire des mâles blancs dominateurs à la fois racistes et macho (c'est quand même l'image dont souffre aujourd'hui le genre du western). Or il prend le contrepied de tout cela et je vais démontrer (une fois de plus) que John Ford et son alter ego à l'écran John Wayne ne correspondent pas à l'étiquette négative qui leur colle à la peau.
Le vrai titre du film c'est "She wore a yellow ribbon". Un titre au féminin qui annonce une intrigue sentimentale dans le milieu de la cavalerie. En fait il s'agit d'une sous-intrigue assez superficielle qui parcourt tout le film sous la forme d'un triangle amoureux entre Olivia (Joanne Dru), la nièce du commandant major de la garnison et deux lieutenants épris d'elle, Cohill (John Agar) et Penell (Harry Carey Jr) qui se disputent ses faveurs. Mais ce titre a une portée bien plus large et plus intéressante que cette seule sous-intrigue.
"She wore a yellow ribbon" approfondit le portrait du capitaine joué par John Wayne dans le premier volet de la trilogie "Le massacre de Fort Apache": un homme de terrain et un homme de paix très éloigné des poncifs entourant la masculinité des films de guerre que l'on en juge:
- C'est un "vieil homme" sur le point de prendre sa retraite (John Wayne a été vieilli de 20 ans pour l'occasion).
- Sa dernière mission consiste à accompagner deux femmes en lieu sûr et il finit par se retrouver à la tête d'un convoi comprenant également un blessé et deux enfants.
- Soucieux d'empêcher les effusions de sang, il fait des détours pour éviter les indiens à qui il donne le temps d'attaquer la garnison où ils doivent se rendre, provoquant l'échec de sa mission.
- Il ne peut se résoudre à prendre sa retraite sans avoir tenté d'empêcher la guerre entre le fort qu'il commande et les indiens. Après avoir rencontré un vieux chef tout aussi pacifiste et impuissant que lui, il imagine un raid qui désarmera les indiens en ne coûtant la vie de personne (magnifique scène des chevaux libérés qui en galopant s'interposent entre les fusils et les hommes).
- Lorsqu'il n'est pas en mission, on le voit se recueillir sur la tombe de sa femme et de ses filles ou longuement contempler leurs portraits avec une émotion palpable. Et lorsque son régiment lui offre une montre pour son départ à la retraite, il est ému aux larmes.
- L'évitement des affrontements en dépit d'un contexte de violence omniprésent (les indiens spoliés veulent récupérer leurs terres et se livrent pour cela à des exactions) rend le film profondément méditatif et contemplatif. Ford en fait une véritable œuvre picturale animée où chaque plan en technicolor du paysage de Monument Valley (de près, de loin, de jour, de nuit, sous le soleil au zénith, sous le soleil couchant, sous l'orage etc.) est à tomber par terre de beauté.
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