Destino
Dominique Monféry, John Hench (2003)
Curieux destin que celui de "Destino", ce court-métrage surréaliste et muet, véritable OVNI réalisé conjointement par Salvador Dali et Walt Disney qui connut une gestation de plus d'un demi-siècle.
En 1945, les deux artistes se rencontrèrent lors d'un dîner à Hollywood. Dali travaillait alors sur les séquences oniriques de "La maison du docteur Edwards" d'Hitchcock. Ils s'étaient déjà brièvement rencontrés dans les années 30. Dali considérait Disney comme l'un des trois plus grands surréalistes américains (avec les Marx Brothers et Cecil B.DeMille). Les deux hommes décidèrent de faire un dessin animé ensemble. Disney a un projet qui séduit Dali: celui du destin tragique de Chronos, dieu grec du temps, désespérément amoureux d’une mortelle, le tout sur l'air de la chanson mexicaine d'Armando Dominguez intitulée "Destino". Dali se rendit tous les matins pendant 8 mois aux studios de la compagnie. Il produisit une petite centaine de croquis, puis parvint à réaliser dix-huit secondes de film animé. Mais, faute de budget dans le contexte difficile de l'après-guerre, Walt Disney finit par lâcher l'artiste et le projet (il se murmure également qu'il était mécontent de la tournure du projet, plus dalien que disneyen).
C'est Roy Disney, neveu de Walt, alors à la tête de la société, qui ressortit les archives de Dali du coffre du studio en 1999 et décida de relancer le film. Entre temps, l'histoire de leur collaboration était devenue légendaire, bien au delà des seuls fans d'animation. Une équipe de 25 personnes œuvra alors, dans le studio d'animation français de Disney à Montreuil, sous la houlette du réalisateur Dominique Monféry et l'indispensable supervision de John Hench qui avait assisté Dali en 1946 et était toujours en vie. En 2003, « Destino », d'une durée de six minutes, fut enfin achevé. Après avoir parcouru festivals et expositions, il est visible depuis 2010 sur internet.
"Destino", beau et harmonieux, fait penser à l'enfant d'un couple dans lequel on recherche la ressemblance avec les géniteurs. La parenté avec l'œuvre de Dali saute aux yeux. On croise toutes les obsessions graphiques du peintre : croissants de lune montés sur échasses, montres molles, sculptures aux têtes coupées, coquillages géants, globes oculaires pourvus de bras, paysages désertiques etc. Par conséquent, la parenté avec l'œuvre de Disney y est beaucoup plus discrète. Elle existe néanmoins à travers la figure de la princesse qui lorsqu'elle s'envole fait penser à la fée Clochette dans Peter Pan alors que son avatar abstrait se rapproche de certaines séquences de Fantasia.
"Destino" est une œuvre précieuse qui illustre la rencontre de deux grands esprits. Preuve que le dialogue des différences enrichit, j'aime particulièrement le point de vue de chacun sur l'intrigue du film: « Un spectacle magique du problème de la vie dans ce labyrinthe qu’est le temps » ou « l’histoire simple d’une jeune fille à la recherche de l’amour vrai »: deux visions, deux vérités illustrant ce petit bijou de film.
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