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Les Quatre cent coups

Publié le par Rosalie210

François Truffaut (1959)

Les Quatre cent coups

Truffaut nous fait ressentir dans son premier long-métrage (qui à mon avis est son meilleur film, le plus juste, le plus universel et intemporel) toute l'étendue de la violence des adultes qui s'abat sur un gamin coupable d'être né hors des clous.

En 1959, c'est un crime.

Antoine Doinel n'a pas de foyer. "Chez lui" n'est pas chez lui. Il n'a nulle place où dormir par conséquent son lit se trouve dans l'entrée et gêne l'ouverture de la porte histoire de nous faire comprendre à quel point le gosse est encombrant pour ceux qui lui tiennent lieu de parents. Il n'a pas davantage de place pour travailler. A peine commence-t-il ses devoirs que sa mère lui ordonne de les ranger pour qu'ils puissent se mettre à table. L'exiguïté et la vétusté de l'appartement (les années 50 sont marquées par une grave crise du logement) n'est que le symptôme d'un mal plus profond.

"Ma mère est morte". Par ce cri du cœur, Antoine Doinel exprime pour la première fois toute l'étendue de sa souffrance liée à la privation d'amour maternel. Cette souffrance s'exprime également à d'autres moments du film. Lorsque Antoine vole une bouteille de lait ou encore lorsqu'il se place en position fœtale dans le Rotor, un manège pouvant faire penser au ventre maternel (et aussi aux débuts de l'art cinématographique). La mère d'Antoine apparaît comme une femme qui se désintéresse de son enfant et de son foyer qu'elle déserte à la première occasion pour retrouver son amant. On voit à de petits détails (sa chemise de nuit déchirée, l'absence de draps dans son lit, des vêtements toujours identiques) a quel point Antoine est négligé. Néanmoins elle sait très bien jouer la comédie de la bonne mère lorsqu'il faut donner le change en public. Seul Antoine n'est pas dupe. Il éclate de rire quand son père lui dit que sa mère l'aime.

Le foyer d'Antoine n'est que faux-semblant. Son père lui aussi joue la comédie du père attentif mais dans le fond il est complètement indifférent. Et pour cause, il n'est pas son père, juste un paravent de respectabilité à une époque où il fallait sauver les apparences. Truffaut comme Demy (qui apparaît brièvement dans le film dans le rôle d'un des flics du commissariat) en cinéastes de la nouvelle vague rejetant le "cinéma de papa" se sont faits documentaristes pour dénoncer la mise au ban des filles-mères, les grossesses non désirées se terminant par de désastreux mariages de convenance alors que l'avortement est interdit (la mère d'Antoine a cherché à avorter clandestinement mais a dû y renoncer sous la pression familiale).

Les autres institutions chargées de prendre en charge la jeunesse s'avèrent à l'image du pseudo foyer-familial. L'école est le reflet de la maison. Antoine n'y trouve jamais sa place, il est puni et mis au coin ou convoqué ou exclu. Il ne peut jamais finir un travail, on ne lui donne pas la parole et lorsqu'il s'applique à faire un bon devoir on le dénigre en disant qu'il n'est pas de lui. Le commissariat et la maison de redressement s'emploient à l'enfermer toujours davantage, à le maltraiter et à l'exclure.

La seule solution, c'est la fuite. Antoine Doinel fugue de chez lui, fait l'école buissonnière, accomplit de petits larcins et s'évade de la maison de redressement. Symptomatiques de sa colère et de sa révolte, ces fuites semblent néanmoins sans issue à l'image de la fin aussi belle qu'énigmatique. Semblent car il y a des indices disséminés dans le film qui laissent entrevoir des solutions. Le passage le plus important est la séance chez la psychologue où la parole d'Antoine peut enfin se libérer. Mais le spectacle et l'art sont tous aussi importants: le théâtre de Guignol et les cinémas de quartier. Truffaut a mis beaucoup de sa propre histoire dans le personnage d'Antoine même si celui-ci est incarné avec une présence stupéfiante par Jean-Pierre Léaud qui deviendra en quelque sorte le double du cinéaste. Truffaut a été sauvé de la délinquance par l'art et la main tendue de celui qui est devenu son père spirituel, André Bazin, le fondateur des Cahiers du Cinéma (où Truffaut a commencé comme critique). Le film lui est dédié.

 

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