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Les feux de la rampe (Limelight)

Publié le par Rosalie210

Charles Chaplin (1952)

Les feux de la rampe (Limelight)

C'est un des plus beaux films de Chaplin parce que l'un des plus intimes. Et la capacité à traduire son intimité lorsqu'elle se marie avec le talent créé une étoffe dont sont faite les plus belles œuvres d'art.

On a souligné à juste titre la part autobiographique et nostalgique du film. Reconstitution du milieu du music-hall londonien où Chaplin a fait ses premiers pas, choix de l'année 1914 où il débarque aux USA pour ses premiers films, convocation de ses parents disparus à travers ses deux personnages principaux, résurrection de l'âge d'or du muet le temps d'un numéro d'anthologie avec Buster Keaton etc.

Mais le film va en réalité beaucoup, beaucoup plus loin, jusqu'aux tréfonds de l'âme de son auteur dont il met à nu les contradictions. Aucune grimace burlesque, aucun maquillage dans les scènes clés ne dissimule son visage et ses yeux où se reflètent une palette d'émotions extrêmement riche. Si bien que le film n'est pas tout à fait ce qu'il prétend être. Oui, Chaplin fait en quelque sorte un bilan désabusé de sa vie. On peut lire entre les lignes les affres du vieillissement qui le diminue, le désamour du public après M. Verdoux qui le ronge, sa mise à l'index par des USA plongés en pleine paranoïa anticommuniste qui le rend amer. Oui il fait ressurgir sur les murs un Charlot spectral à travers son Calvero au bout du rouleau, condamné à l'oubli, au néant (la canne et le chapeau melon accrochés sur le portemanteau, les affiches de Calvero où le mot "Tramp" c'est à dire "Vagabond", surnom de Charlot en VO peut être lu etc.)

Mais en même temps, il met en scène une mort des plus théâtrales après un numéro en forme d'apothéose (" Moi je veux mourir sur scène, devant les projecteurs") Et quelle est la raison de ce soudain regain de vitalité qui lui permet de s'accomplir au moment de partir pour de bon? Un échange décisif dans les coulisses avec Terry, la jeune danseuse souffrant d'hystérie que Calvero a recueilli au début du film après qu'elle ait tenté de se suicider. C'est l'amoureux de Terry, dépité d'être éconduit qui pose la bonne question "qu'est ce qu'il y a entre vous?" On pourrait répondre "Rien". Car l'amour entre Terry et Calvero est si fusionnel, absolu qu'ils peuvent se fondre l'un dans l'autre. C'est d'ailleurs ce qu'illustrent les scènes imprégnées de mysticisme où chacun prie pour le succès de l'autre. De même lorsque l'un s'effondre, l'autre se redresse dans un échange de flux énergétique assez saisissant. Si la transmutation ne s'est pas accomplie plus tôt c'est que Calvero passe l'essentiel du film à la refuser et à la fuir. Jusqu'au moment où dans les coulisses, il finit par l'accepter. Ce qui se passe entre elle et lui est alors moins un passage de témoin vers la jeune génération (ça sonne tellement toc d'ailleurs) qu'un accès direct à l'immortalité ("rien ne se perd, rien ne se créé, tout se transforme").

Il est impossible qu'Almodovar n'ait pas pensé à ce film lorsqu'il a réalisé Parle avec elle en 2002. Est-ce vraiment un hasard s'il place dans la bouche de la fille de Chaplin (qui interprète comme par hasard une danseuse) ces mots magnifiques sur la transmutation "De la mort surgit la vie, du masculin, le féminin, de la terre surgit l'éther"?

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