Le chant du styrène
Alain Resnais (1958)
A partir d'une commande des usines Pechiney, Resnais réalise une enquête poétique sur les origines du plastique. Il part de l'objet fini pour remonter jusqu'à la matière première en passant par toutes les étapes de sa fabrication.
Dès le titre, on sait que l'on va avoir affaire à un alchimiste capable de transformer le plomb (le pétrole et ses dérivés industriels) en or c'est à dire en œuvre d'art. Le Chant du (poly)styrène convoque le mythe grec, celui de Syrinx, nymphe d'Acadie aimée de Pan. Poursuivie par le dieu, elle se transforma en roseau. Pan, écoutant le vent siffler dans les roseaux eut l'idée d'unir des tiges de longueur inégale et créa ainsi la flûte qui porte son nom. La flûte avatar de l'art lyrique, la poésie unie au plastique dès le titre et cet alliage, alliance contre-nature se poursuit avec la citation de Victor Hugo tirée des Voix intérieures puis du célèbre vers détourné du Lac de Lamartine "Ô temps, suspend ton bol". Le commentaire se poursuit en alexandrins aux rimes suivies, comme dans la tragédie classique dont il épouse les effets et la rhétorique avec quelques relâchements stylistiques et l'introduction d'un vocabulaire technique soulignant qu'il s'agit bien d'une œuvre hybride. Et si "on lave et on distille et on redistille/Ce ne sont pas là exercices de style" puisque c'est Raymond Queneau, l'auteur de ce poème qui l'affirme!
Néanmoins le documentaire n'est pas qu'un jeu. Il nous entraîne dans une drôle de jungle, celle de la chimiosynthèse (avec une accumulation de formes plastiques végétales mutantes) le tout sous un fantôme de soleil levant qui en 1958 ne pouvait évoquer autre chose que les ruines fumantes du cataclysme nucléaire japonais ravivées par la guerre froide. Et plus le film avance, plus les couleurs s'éteignent, celui-ci s'achevant dans la grisaille des bâtiments et des fumées d'usine où l'élément humain semble réduit à l'état spectral. Ce qui n'est pas sans évoquer les cendres de Nuit et Brouillard. "Mais parmi ces progrès dont notre âge se vante/Dans tout ce grand éclat d'un siècle éblouissant/Une chose, ô Jésus, en secret m'épouvante,/C'est l'écho de ta voix qui va s'affaiblissant."
Commenter cet article